Avant toute chose, je comprends aisément les débats sur l’adaptation du comics : même si cela fait trop longtemps pour que j’ai une opinion solide, je l'ai lu et en ai gardé déjà un très bon souvenir. Ce qui est dire, vu que je suis encore assez inculte en matière de comics. Mais j’ai toujours interprété les cases reconstituées et les différences narratives comme bonnes ou nécessaires. Même cette fin donc… Troquer une pieuvre géante contre un geste pas très Charlie, voilà deux discours complètement différents. L’imaginaire contre le réalisme (aussi fou soit ce dernier). Je trouve que c’est de loin le débat le plus intéressant à propos de l’adaptation, et même si je reconnais que les deux camps ont des arguments efficaces, je pense que Snyder et son équipe ont fait le bon choix. Déjà, par rapport à l’ensemble de la mise en scène : tout comme le comics se voulait totalement à contre-courant du genre, avec sa maturité de ton qui désacralise tout, le film se devait d’aller sur cette voie-là aussi dans son propre médium. Même en étant dans le fantastique, « Watchmen » présente beaucoup d’évènements qui arriveraient dans la vraie vie, les agissements super-héroïques étant avant tout des métaphores. Alors, une pieuvre géante qui surgirait de nulle part, après un Docteur Manhattan qui philosophe sur la justification de la Vie, Rorschach qui montre un bref instant un peu d’humanité et les scientifiques empoisonnés par leur leader… Je les comprends sur le choix. Quitte à diffuser un message « No Imaginaire » n’étant pas forcément très agréable dans un genre qui se veut aussi glorifiant que le super-héros, ils ont choisis d’aller jusqu’au bout de la démarche, et c’est ce qui fait que le propos du long-métrage est complètement cohérent. Alors moi, je suis très satisfait de cette fin : contrairement à presque tous les autres films du genre, il est impossible de dire du premier coup, sans réfléchir un peu, si l’action était juste ou non. C’est infiniment plus complexe, on ne peut que partager la pensée du Docteur Manhattan (« Sans approuver ni condamner, je comprends »). Alors forcément, c’est tellement rare à Hollywood de jouer à ce point avec la morale que ça a de quoi déstabiliser… C’est sacrément couillu. Et intelligent.
Enfin, je vais pas me lancer dans une analyse approfondie complète du film, d’autres l’ont déjà fait ! Car « Watchmen » est riche. Extrêmement riche. Et captivant. Pour vous dire, la première fois que je l’ai vu, c’était en extérieur, dans un camping, avec des insectes grouillant petit à petit. Joie. Mais ça ne m’a aucunement empêché d’être complètement dedans. Je ne suis pas un grand connaisseur de la filmographie de Zack Snyder, mais il a une patte incontestable, qu’il sait mettre au profit d’une autre patte incontestable qui est celle de Alan Moore et Dave Gibbsons. Chaque plan est pensé comme une page de BD, des séquences entières comme des chapitres. Ca pourrait sembler trop collé à son modèle d’origine justement, mais je trouve qu’il arrive à prendre assez de recul grâce à trois éléments. Déjà, la BO : typiquement l’impression qu’elle a été faite pour moi. Entre du Bob Dylan (le fameux générique de début, qui a marqué tout le monde), Janis Joplin, Jimi Hendrix, Leonard Cohen ou un morceau de la BO du documentaire expérimental « Koyaanisqatsi » (même si étrangement utilisée, comme une musique de fond légèrement ambiante…), donc des années 60 aux années 80 musicalement, aucun morceau n’est là au hasard – je te vise, « Suicide Squad ». C’est l’un des nombreux autres éléments qui fait que le film, encore plus que le comics, parle avant tout de la guerre froide et des dysfonctionnements politiques engendrés par celle-ci qui perdurent encore aujourd’hui. Le deuxième élément, c’est tous les éléments de mise en scène qui nécessitent un mouvement spécifique, qui raconte complètement autre chose mais de façon impossible sur papier. Je pense par exemple au billard, quand le Comédien (ça c’est du pseudo) plaque sa jolie camarade : les billes qui s’éparpillent s’apparentent comme une bulle qui éclate, déjà, mais surtout aucune boule ne remplit les trous. A cet instant précis, les objectifs initiaux des deux personnages sont chamboulés à jamais ; en cédant à cette tentation, le Comédien gâche la vie de sa victime, et également la sienne. Ce genre d’action ne peut être dit autrement que par le dialogue dans une BD. En troisième élément, tout simplement, les différents environnements dans lesquels évoluent les personnages : entre les 4 éléments. Quand l’un de ces éléments ait mis en exergue, la direction artistique n’est plus la même : le feu (donc plutôt dans l’Espace), très peu d’éléments existent dans le cadre, la couleur dominante est l’orange forcément, mais surtout les actions sont presque immobiles ; la terre, c’est tout le contraire, tout le monde est entouré, la couleur dominante est terne et c’est la place de l’action ou des nombreux dialogues ; l’air, lorsque Rorschach fait son enquête ou sur les monologues lorsque c’est le Hibou qui pilote (dans les deux cas, c’est la nature et le sound-design qui dominent), avec une couleur franchement obscure, où chaque action est tantôt ralentie tantôt très vive, une mise en scène réellement ambivalente ; l’eau, tout simplement lorsque la pluie ou la glace sont présentes, annoncent à chaque fois un nouveau nœud dramatique, avec une couleur bleue très mélancolique, et les actions majoritairement ralenties. Evidemment, tout cela est du ressort de Zack Snyder et de son équipe.
En tant que film pur, « Watchmen » est un chef d’œuvre pour moi : le rythme est impeccable, les personnages fascinants pour des raisons propres à chacun, le scénario ne s’essouffle pas, son propos est très courageux même pour l’Amérique de Barack Obama, les décors claquent comme le montage… Avec « V pour Vendetta » et les Batman, il est ce pourquoi je reste, malgré tout, beaucoup plus DC Comics que Marvel. Lorsqu’ils réussissent un film, ce n’est pas juste un bon DC, comme un bon Marvel le serait : ils sont avant tout des bons films de cinéma, ils ne restent pas cantonnés dans leurs genres et peuvent être pris au sérieux dans d’autres catégories (comme le film catastrophe pour « Watchmen », y’a pas besoin de tsunamis géants pour simuler l’apocalypse palpable). Anecdote qui sert à rien : lorsque Rorschach (évidemment le meilleur perso, et c’est dire vu son côté Sarkozy) raconte sa « blague » avec le médecin, coïncidence rigolote, mais Coluche a raconté la même lors d’un de ses spectacles. Une relation improbable mais qui donne de l’espoir.

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le 11 mars 2021

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Billy98

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