Pour un film avec le nom d'un oiseau immortel de la mythologie égyptienne dans son titre, X-Men : Dark Phoenix a tout du canard boiteux à sa sortie - retardée - en novembre 2019. Non seulement son dernier tiers a du être presque intégralement refilmé, mais la Fox vient alors d'être rachetée par Disney, ce qui signifie que Dark Phoenix sera, histoire de rester dans le thème, le chant du cygne de la série des X-Men au lieu du nouveau départ envisagé.


Comme si cela ne suffisait pas, le film traîne un autre boulet double : l'héritage de son prédécesseur, et du réalisateur de celui-ci. Étron boursouflé, X-Men : Apocalypse sabota tout le momentum durement gagné par Days of Future Past en 2014. Le triomphe récent du spinoff Logan n'y changeait rien : les X-Men étaient une nouvelle fois tombés dans le caniveau, et avec eux l'un des principaux artisans de leur succès. En effet, Bryan Singer venait de se faire blacklister par Hollywood en raison de multiples accusations de pédophilie...


Pour le remplacer, le studio dans la tourmente fait appel à Simon Kinberg. Le nom n'est pas inconnu des fans puisque c'est à lui que nous devons le scénario de trois des précédents opus de la franchise. Le hic, c'est qu'il s'agit du premier essai de Kinberg dans le rôle du metteur en scènes. Comment diable la Fox a-t-elle pu confier pareil blockbuster à un débutant ? Parce que personne d'autre n'en voulait, tout simplement.


Tous ces désagréments sont tristement visibles à l'écran, de la première à la dernière des 110 minutes de Dark Phoenix. Comme tant d'autres avant lui - citons Marc Webb dans The Amazing Spider Man et Josh Trank dans Fan4stic, qu'il a d'ailleurs produit -, Kinberg prend le parti d'une ambiance très sombre, à la photographie certes léchée mais déprimante, accentuée par la bande-son omniprésente et assommante d'un Hans Zimmer en mode somnambule. Mais le réalisateur/scénariste, débordé par sa double casquette, confond noirceur et grisaille. Origins et Apocalypse avaient été sabordé par leur stupidité paresseuse et grandiloquente, mais le principal ennemi de Dark Phoenix, c'est la monotonie.


Je crois Kinberg sincère lorsqu'il disait vouloir corriger ses erreurs d'X3. De fait, son film se concentre sur cette unique trame adaptée des comics de John Byrne et Chris Claremont, au lieu de lui en greffer une autre par peur de froisser le jeune public, ce qui a le mérite de rendre Dark Phoenix plus cohérent. Mais X3, avec tous ses défauts, ne rendait pas apathique, notamment grâce à son casting charismatique, qui y croyait, quitte à cabotiner. Huit ans après First Class, tout le monde a tourné la page. L'enthousiasme des James McAvoy, Michael Fassbender et autres Nicholas Hoult n'est plus qu'un lointain souvenir. On voit qu'ils sont passés à autre chose, eux aussi, et se contentent de faire le boulot.


Au moins Jennifer Lawrence se montre-t-elle un peu plus impliquée que dans le film précédent, mais si c'est pour sortir des "On devrait rebaptiser les X-Men "X-Women", vu que ce sont les femmes qui passent leur temps à sauver les hommes", histoire de caresser #metoo dans le sens du poil et de se démarquer de l'embarrassant Singer, elle aurait très bien pu rester chez elle. Jessica Chastain non plus ne fait pas forte impression en méchante de service, mais le vrai problème, ce sont les jeunes Jean Grey, Cyclops et Storm ; aucun n'est vraiment mauvais, mais ils n'arrivent pas à la cheville de leurs alter egos de la trilogie originelle. Pauvre Sophie Turner, entre ça et la dernière saison de Game of Thrones, 2019 n'aura pas été une grande année pour elle.


L'absence incompréhensible (reshoots?) de Quicksilver en seconde moitié de film est symptomatique du manque de souffle de Dark Phoenix. Scénaristiquement parlant, Kinberg ne tombe certes pas dans les mêmes méandres que certains de ses aînés, mais il n'a rien d'autre à proposer que du gris, du déjà-vu et du médiocre. La bataille finale dans le train parvient un temps à capter l'attention, mais c'est trop peu, trop tard, non seulement pour ce film, mais pour la franchise dans son ensemble.


C'est donc sur une bien triste note que s'achève la saga des X-Men au cinéma, après deux décennies d'une inconstance qui leur aura été fatale. Comme l'a dit le critique Dan Murrell : "leurs films qui auraient dû être bons se sont ramassés, et ceux marqués du sceau de la médiocrité se sont révélés bons". Il est certain que dans leurs meilleurs jours, les X-Men auront marqué l'histoire du film de super-héros en lui apportant la maturité qu'il lui manquait. D'autres ont repris le flambeau pendant qu'elle retombait dans la médiocrité, mais à l'heure des productions à la chaîne, destinées à satisfaire le plus grand nombre au détriment de l'originalité, cette flamme s'est quelque peu éteinte. Leur retour dans le giron de Marvel la ranimera-t-elle ? Il est permis d'en douter, mais après tout, peut-être l'ultime pouvoir des X-Men reste-t-il leur capacité à surprendre...

Szalinowski
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le 15 avr. 2020

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