Hospice power
De deux choses l’une : celui qui ne connait pas Sorrentino pourra, un temps, être ébloui par sa maîtrise formelle et y voir une voie d’accès à son univers ; celui qui en est familier y trouver une...
le 12 oct. 2015
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Sorrentino frappe fort, encore une fois, non pas que son film, contrairement à La Grande Bellezza, qui m'avait bien plus ému et subjugué par sa beauté, est parfait mais parce qu'il a ce don de rendre poétique de simples gestes et de transformer à peu près tout en or.
Dirigeant un casting assez extraordinaire (Michael Caine, Harvey Keitel, Paul Dano, Rachel Weisz, Jane Fonda, entre autres), Sorrentino abandonne son Italie clinquante et haute en couleur pour les hauteurs vertes et douces des montagnes helvètes. Dans un hôtel luxueux, de riches vacanciers y passent des jours paisibles, entre massages, sauna, et cure thermal. Le décor prête à l'apaisement le plus profond pour des hommes fatigués par l'existence. Michael Caine est un chef d'orchestre et un compositeur à la renommé mondial, à présent à la retraite, refusant de reprendre une de ses oeuvres majeures pour un concert que la Reine d'Angleterre veut organiser. Il retrouve son ami réalisateur, interprété par Harvey Keitel, qui est là pour finir le scénario de son film "testament". l'ex-chef d'orchestre est aussi accompagné de sa fille, Rachel Weisz, toujours aussi sublime, et aussi belle fille du réalisateur. On croise aussi un acteur en plein interrogation existentielle, un Maradona vieillissant et obèse, un couple qui ne se parle jamais, et une palette de personnages extraordinaires, avec leurs histoires et leurs secrets.
Comme toujours avec Sorrentino, les personnages sont à la croisée des chemins. Ils dressent le bilan, ils fomentent des projets, rêvent, croient, ou désespèrent, et l'hôtel, lieu mondain où l'on se croise sans cesse, dans un ballet sans fin, est le lieu qui se prête parfaitement à cette méditation sur l'existence, surtout quand il fait face aux montagnes éternelles. Le film s'intéresse à la vieillesse et à ce temps, qui d'années en années s'écoule inexorablement. Il est l'heure pour le vieux compositeur et le vieux réalisateur de songer à l'existence passée. L'un et l'autre croient voir en l'autre le portrait d'eux-mêmes alors qu'ils sont différents, fondamentalement. L'un est tourné vers l'avenir avec un projet de film, l'autre ne veut plus regarder le passé. L'un est malade, l'autre est en pleine forme. L'un est dans l'illusion, l'autre dans le cynisme.
On rit, souvent, aux situations provoquées par le réalisateur, souvent savoureuses et loufoques, voire grotesques, à la manière d'une comédie humaine, où l'humanité la plus potache peut surgir à n'importe quel moment : faux clip d'une chanteuse pop, personnages ridicules, discussion sur la prostate... On pleure, aussi, devant l'âpreté de cette vieillesse, corps et âmes décaties par les années, orgueil des succès d'autrefois et des gloires d'antan, comme le montre si bien Jane Fonda dans son personnage d'actrice mûre et acerbe ou la tirade, terrible de Rachel Weisz à son père.
Le film est à couper le souffle dans ses plans et sa photographie, tout est pictural, chaque seconde calculée : harmonie des couleurs, symétrie des décors, point de vue de la caméra qui semble parler d'elle-même sans qu'il n'y ait besoin de mots.
Et puis il y a cette poésie et cette puissance d'évocation de Sorrentino et ainsi un troupeau de vaches peut se transformer en orchestre, une balle de tennis évoquer la gloire footballistique d'antan, la piscine devient le lieu où des Vénus anadyomènes ne cessent de surgir, évocation d'une jeunesse dans toute sa splendeur face aux yeux pochés et ridés des octogénaires. Les enfants, tous, apprennent, durant le film, la danse, le violon, le vélo. Les vieux, eux, enseignent, sages et en même temps en proie aux doutes. Sorrentino a définitivement quelque chose de proustien dans sa manière de traiter et de voir les choses, entre distance et tendresse, poésie, romance et symbolique. Les références, les allusions, les sous-intrigues sont nombreuses. Le film est noueux et complexe tout en ayant une grande fluidité stylistique et esthétique, à l'instar de Proust et il s'avère qu'il est impossible à résumer, d'autant plus qu'il ne s'y passe d'apparence pas grand chose mais que c'est la somme extraordinaire de détails tenus qui construit le film et lui donne sa puissance.
Le film se termine à Venise, où le compositeur revient, comme dans La Mort à Venise, sauf qu'il y retrouve un élan vital. Il fera son ultime concert et finira par réparer les blessures passées. La cure thermale est devenue une purge, l'occasion non pas de réparer la vieillesse, mais de réparer la vie tout entière. Et contrairement au héros de Thomas Mann, il y retrouve sa jeunesse, sa vitalité, l'apathie a passé, il est temps de vivre. La référence ne tient pas du hasard, la montagne du film est quelque part celle tant et tant décrite par l'écrivain allemand. Le film termine sur un plan magnifique, celui d'un dernier concert, pure émotion de 5 minutes, sans parole, simplement un orchestre qui joue, et un public, ébahi qui regarde. Le temps retrouvé.
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Créée
le 12 sept. 2015
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