Avec les yeux fermés, on voit mieux les gens

Takeshi Kitano incarne une nouvelle fois le héros de son propre film. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un yakusa en quête de rédemption mais de Zatoichi, une figure nippone populaire devenue mythique qui a fait l'objet d'une vingtaine de films avec Shintaro Katsu.

De manière fréquente, le film repose sur un paradoxe qui consiste à montrer les talents cachés des uns, les secrets enfouis des autres, à décrypter les apparences trompeuses et à contourner habilement les clivages du genre. Durant tout le film, le héros est inflexible et invincible jusqu'à ce qu'une pirouette finale montre son unique faiblesse, le hasard, et souligne une ironie du sort universelle: toute vie repose sur l'impossibilité de préméditer et de certifier.

Il y a quelque chose de foncièrement désopilant et de tragiquement beau dans ce personnage. Présenté comme étant un masseur, on ne le voit que très rarement se mettre à l'ouvrage. En réalité, il masque ses dons comme il cache son sabre dans la canne qui lui sert de guide, et semble bien plus doué dans les jeux, les combats et la coupe du bois. De plus, il se distingue par un parfait maniement du sabre, au grand dam de ceux qui ont la malchance ou l'audace de croiser son chemin, comme ces deux quidams qui l'agressent lâchement en pleine rue et qui pensent tomber sur un handicapé incapable de se défendre. Ce personnage de masseur aveugle est impossible à tromper car ses autres sens sont très développés. Cela lui permet de cerner avec plus de perspicacité les gens qui l'entourent et ainsi de faire le tri entre les bons et les méchants, les sincères et les hypocrites: il est le réceptacle d'une société qui juge essentiellement sur les apparences.

Tadanobu Asano, dont on sait la capacité à être sobre et passionné, endosse le rôle d'un samouraï ronin qui devient le garde du corps de Ginzo qui fait régner la terreur. En réalité, son personnage est plus intéressé que réellement dangereux: ce n'est pas qu'il souhaite se rapprocher de Ginzo ni de ses idées, c'est qu'il le doit, dans l'unique dessein d'obtenir l'argent nécessaire pour soigner son épouse malade.

Les personnages secondaires ont des fonctions différentes en fonction de la tonalité de la scène. Parfois, ils apportent une dose d'humour, comme le voisin dérangé qui se prend pour un samouraï et court à moitié nu autour de la maison, ou encore Shinkichi, perdant sympathique qui ne semble pas bon à rien mais mauvais en tout. Dans le fond, il représente l'antithèse du personnage du masseur et apporte un degré d'humanité dont ce dernier semble a priori dépourvu.
Parallèlement, les deux geishas tueuses jouent un rôle majeur dans l'intrigue. Elles possèdent un secret dont on ne découvre la vraie nature que progressivement. Leur histoire douloureuse parvient de manière subtile à mettre en valeur des thèmes souterrains comme les relations hommes-femmes dans une société patriarcale machiste, la maltraitance des enfants, le désir de vengeance...

Visuellement et musicalement, le film tient toutes ses promesses. L'excellente bande-son signée Keiichi Suzuki accompagne merveilleusement chaque scène, qu'elle soit violente ou poètique, et on ne peut qu'admirer le numéro anthologique de claquettes sur fond de hip-hop vers la fin.

Kitano créé une œuvre fantasque, enthousiaste, dont l'énergie culmine dans un final surprenant d'optimisme et de joie de vivre.
Lorelei3
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le 6 janv. 2012

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