You Were Never Really Here est un prodige.
Sombre, habité, le polar de Lynne Ramsay est une vraie réussite cinématographique, récompensée à juste titre du prix du scénario à Cannes et du prix d'interprétation pour Joaquin Phoenix.
Le film contient en lui quelque chose de rare et précieux: de l'empathie.
Un regard plein de compassion pour son perso principal, voilà la vraie valeur ajoutée que la réalisatrice apporte. Un peu de nuance, d'humanité.
Vraiment pas rien dans un genre très codifié où l'Homme est mythifié comme un sauveur tout-puissant.


Joe est certes une figure imposante, d'une efficacité redoutable, mais il est aussi un homme brisé. Encore enfoncé dans son passé et sa mosaique de traumatismes.
Cette vulnérabilité affichée est d'autant plus frappante que ce perso, cette histoire, on l'a déjà rencontré plein de fois. Point Blank, Payback, Taxi Driver, Drive etc etc. Des hommes sûrs d'eux-mêmes, des justiciers avançant avec détermination vers un but précis.
Mais ici le nouveau modèle, s'il est perdu et en proie à une angoisse existentielle diffuse, a pour lui d'être vu à travers l'oeil d'une femme. C'est ce qui fait toute la différence.


Dans un geste inspiré et radical, Ramsay brise la règle la plus élémentaire du film d'action: de l'action à proprement parler, il n'y en a pas!
Ou plutôt, Ramsay se refuse à la filmer. Elle garde ses distances.
Pas d'effusion, pas de jouissance dans la violence. Pas de glorification de la douleur.
Il y a l'avant. La préparation, les moments d'attente. Les moments de la vie quotidienne. Il y a l'après. Les corps qui gisent au sol, le marteau à nettoyer, les traces à effacer. Jamais l'acte en lui-même.
Très déconcertant mais le message est clair: ce n'est pas la violence qui compte, c'est l'exploration de la psyche en lambeaux de Joe.


L'auteur de la courte nouvelle, Jonathan Ames, se revendique d'un certain héritage du polar. A la manière d'un Richard Stark, la force de son écriture tient dans sa concision. L'épure. Le maximum d'impact avec le minimum de mots.

Là où le travail d'adaptation de Lynne Ramsay se révèle brillant, c'est qu'elle reprend non seulement ce parti-pris stylistique, mais elle lui insuffle une résonnance psychologique et thématique.
L'ellipse est constante, le montage saute à chaque coup porté.
C'est plus qu'une afféterie. C'est une éthique qui se dessine, une position morale vis-à-vis de la violence.
You Were Never Really Here est en cela moins un revenge movie qu'une déconstruction du genre. En supprimant les séquences d'action supposément obligatoires, Ramsay laisse avec tendresse assez de place à son personnage pour exister, se chercher. Travailler sur lui-même.


Finalement, ce polar qui n'en est pas vraiment un ne cesse de se détacher de ses modèles et des attentes, pour mieux revendiquer une originalité étrange.
Des fulgurances visuelles ici et là. Des séquences entières qui surprennent par un certain décalage. Parfois un humour mordant. Parfois une poésie suprême.

You Were Never Really Here est bien une variation brillante sur une histoire archétypale, vue et revue, reconfigurée en étude psychologique intelligente et humaine.
Pour mieux peindre, par petites touches impressionnistes, le portrait d'un homme rongé par son passé, le chemin de croix d'une brute sensible et auto-destructrice vers l'acceptation de soi.
Joe s'est longtemps défini à travers le fait de sauver les autres.
A lui maintenant d'avoir le courage d'entreprendre cela pour lui-même.

Dalecooper
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le 17 févr. 2019

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Dalecooper

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