Le scénario de ce film est minimal, et pour cause ; il ne raconte qu'un pan de vie, celle de Joe. Joe avec son marteau. Joe charcute des gens dans les motels sordides. Joe sauve des enfants embarqués dans des réseaux de prostitution. Joe erre à travers la ville, l'air absent. Joe s'occupe de sa maman sénile et joue à être Norman Bates quand elle occupe trop longtemps la salle de bains (mais c'est pour de rire). Le soir, Joe repense à son passé horrible, alors il bande ses muscles et se fout un sac plastique sur la tête pour tenir le coup. Ainsi va la vie de Joe.
Ce film présente le monde tel que Joe le perçoit : couleurs froides et crues, coupes brutales, plans rapprochés ne laissant voir qu'une vision fragmentée du décor. La vision d'un homme qui a perdu contact avec le monde extérieur. Qui avance parmi la foule, sans la comprendre. Hormis sa mère, et la fillette qu'il se charge de sauver, tous les autres personnages paraissent incongrus, bizarres ; leurs propos sont vides de sens. Ils sont des étrangers. En comparaison, les meurtres auxquels se livre Joe semblent pratiquement normaux (ils ne sont d'ailleurs presque jamais montrés à l'écran, et la caméra ne s'attarde pas sur les victimes de Joe ; elles sont de la chair à canon, rien de plus).
Une affaire qui tourne mal va cependant bouleverser son quotidien à l'équilibre fragile : une à une, les attaches qui maintenaient la stabilité de son monde s'effondrent. Jusqu'à sa propre mère, seul objet de son affection. Alors ne reste plus, dans son univers détruit, que la présence obsédante de cette gamine, aussi froide et déconnectée de la réalité que lui. Il la rejoindra donc, dans une chaude et douce maison de poupée, havre de paix qui n'est qu'apparent, et renferme des secrets tout aussi noirs que le passif de Joe (et maison où, encore une fois, Joe et son physique d'ours feront tache : preuve qu'il n'a sa place nulle part).
Mais au moment des retrouvailles, ô surprise ! L'enfant dîne tranquillement à une jolie table, vêtue d'une robe adorable, le visage impassible. Sans le moindre état d'âme pour ce qu'elle vient de faire. Comme si c'était, au fond, un acte ordinaire. Ce que Joe fait tous les jours. La norme.

Dès lors, on devine que chacun d'eux s'accrochera à l'autre comme dernier rempart contre la folie ; c'est lorsque la fillette s'en va un instant que Joe imagine son suicide dans le café, suicide auquel personne ne prêterait attention : il se pense définitivement abandonné. Mais non. Contrairement à tous les autres, elle revient. "Wake up, Joe..." ; et alors, Joe pourra la suivre. Ainsi se poursuivront leurs vies.


Film intéressant, très maîtrisé, prenant à sa façon, qui raconte l'histoire de deux âmes antisociales traçant leur propre voie, envers et contre tous. Et qui continueront, en duo, dans leur monde. Jusqu'à la fin.

DanyB
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2017

Créée

le 29 nov. 2017

Critique lue 474 fois

6 j'aime

Dany Selwyn

Écrit par

Critique lue 474 fois

6

D'autres avis sur A Beautiful Day

A Beautiful Day
Velvetman
8

Camé et Léon

Il existe ces films qui vous happent physiquement, qui détiennent au fil des minutes une emprise machiavélique sur votre regard par rapport à l’image. A Beautiful Day fait partie de cette...

le 6 nov. 2017

101 j'aime

4

A Beautiful Day
Behind_the_Mask
8

The Death of Childhood

C'est un fantôme qui erre dans les rues, dans la nuit de Cincinatti. Sa démarche est lourde, sa silhouette épaisse. Il est hirsute, le regard parfois vide. Agité de traumas, comme l'image qui se...

le 6 nov. 2017

64 j'aime

14

A Beautiful Day
Clode
7

Un sourire

Joe aime les marteaux. Les marteaux noirs en acier, avec écrit dessus "Made in Usa" en petites lettres blanches. Dans sa main, les marteaux paraissent petits. Les marteaux sont gros, aussi gros qu’un...

le 9 nov. 2017

54 j'aime

4

Du même critique

Assassination Nation
DanyB
7

Ecran de fumée

Cette critique ne fera d'"Assassination Nation" qu'une analyse partielle: certains aspects ne seront que peu explorés, même si tout aussi intéressants: parmi eux, on peut mentionner le côté très...

le 2 janv. 2019

24 j'aime

2

La Peste
DanyB
9

La condition pestiférée...pardon, humaine

Ce que j’aime bien avec Camus, c’est sa façon, sur un ton neutre et avec des mots simples, de nous dire la vérité. Cette vérité, on avait pu la soupçonner auparavant, mais sans forcément parvenir à...

le 2 avr. 2018

20 j'aime