Contraint de faire appel à une très étrange agence de location de voitures pour se rendre à un mariage, David voit sa vie bousculer par la voix du GPS de son véhicule qui l'oblige à recroiser la route de Sarah, une invitée de la cérémonie lui ayant fait battre le cœur à la chamade. Tous deux vont alors entreprendre un parcours initiatique à travers leurs passés respectifs pour guérir de leurs cicatrices et espérer s'aimer comme les âmes sœurs qu'ils sont amenés à être...


Dans le genre "film-où-tout-est-là-pour-que-ça-marche" (au moins auprès de nous en tout cas, hein), "A Big Bold Beautiful Journey" se posait en sérieux candidat. Kogonada que l'on aime beaucoup à la réalisation (on vous conseille fortement "After Yang" avec déjà Colin Farrell), un duo inédit de stars dont le talent n'est plus à prouver, un concept que l'on sentait prêt à nous émouvoir par toutes ses portes franchies, une approche où la quête existentielle se fait par la voie d'une fable fantaisiste susceptible de nous en mettre plein les yeux... Bon nombre d'arguments étaient donc a priori réunis pour nous séduire devant le feu d'artifice de la proposition métaphysico-sentimentale à part qui pouvait en découler mais, malheureusement, l'impression générale que quelqu'un semble avoir oublié d'en allumer la mèche va très vite se faire ressentir et en devenir (presque) sa constante.


En effet, dès la présentation de la fameuse agence de location qui va pousser David sur sa destinée romantique par le biais de ses improbables représentants (le tandem Pheobe Waller-Bridge et Kevin Kline, aussi géniaux que l'idée de les avoir mis ensemble) quelque chose dans le cadre loufoque de cet "entretien" et, surtout, la fantaisie absurde que le film voudrait nous faire d'emblée assimiler (pour y ouvrir tous les champs du possible par la suite) a déjà un mal fou à prendre, créant les prémices d'une distanciation insoluble vis-à-vis du spectateur qui ne va faire qu'augmenter en puissance.

D'abord, par l'échec de nous faire croire en l'amour soudain de son couple vedette: on a beau apprécier Colin Farrell et Margot Robbie individuellement, les étincelles que leur rencontre romantique devrait engendrer ne prennent tout simplement pas à l'écran ou alors dégagent a minima une impression d'alchimie forcée et incapable de nous emporter avec elle en vue de nous faire réellement vibrer sur la durée (ce qui est un gros problème pour un tel film).

Ensuite, par une écriture beaucoup trop faiblarde dans l'optique de créer la magie indissociable d'un récit de ce genre, les portes placées sur le road-trip existentiel de ces personnages débouchent bien trop souvent sur la découverte de plaies intérieures hélas sans saveur particulière, délivrées sur un rythme neurasthénique et juste bonnes à laisser la place à des trous noirs de répliques frôlant les paraphrases appuyées d'un Marc Levy sous Xanax en guise de résolutions (du moins, surtout dans la première moitié du film). En tant que spectateur, c'est bien simple, toutes les meilleures intentions du monde "d'écouter, de rester ouvert et de ressentir quelque chose de magnifique si l'on s'y autorise" devant un film qui ne parvient pas à donner l'éclat nécessaire à ce leitmotiv naïf vis-à-vis de ses protagonistes (déjà peu attachants en soi) se transforment en une envie grandissante de condamner définitivement les portes d'ennui qui le composent.

Enfin, il y a la patte ici curieusement timide de Kogonada elle-même. Si le bonhomme délaisse pour la première fois l'écriture et le montage d'un film (ce qui explique pas mal de choses) pour se concentrer sur la réalisation, on ne peut pas dire que l'esthétique de "A Big Bold Beautiful Journey" soit aussi singulière qu'attendue. Bien sûr, il y a bien quelques plans poétiques ou surréalistes plus inspirés que d'autres, une photographie et une colorimétrie vive plaisantes pour les yeux ou une continuité logique avec ses autres longs-métrages via cette thématique de l'impact profond des blessures familiales sur le devenir de l'être humain mais ces quelques bons points ne permettent pas d'exalter la sensibilité visuelle de cet auteur telle qu'on l'a connue, comme si l'on assistait à une version édulcorée de ce qui a fait son identité cinématographique.


La deuxième moitié du film est tout de même meilleure, apportant une porte ou deux qui méritent que l'on en passe le seuil: cette idée quasi-cauchemardesque avec les ex en reflet l'un de l'autre ou le regard (enfin) plus nuancé et plus touchant sur les pansements imaginés pour se confronter aux traumatismes originels (avec une excellente Lily Rabe en bonus), mais "A Big Bold Beautiful Journey" peinera encore à en faire ressortir quelque chose d'un tant soit peu marquant pour nous faire vivre l'immense hymne initiatique vers l'amour, le vrai, qu'il prétend être.


Le grand voyage audacieux et magnifique tant promis par le titre n'aura malheureusement pas eu lieu, laissant un arrière-goût de gaspillage de talents assez fort en bouche. Aucune porte vers les vertiges des étoiles à signaler ici, elles sont restées dans un autre film.

RedArrow
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