L’esthétique des films de combat bien violents n’est pas si évidente. J’entends par là que les prédicats habituels « beau », « bien chorégraphié » et « lisible » rapportés aux scènes de baston ne suffisent pas à sortir ce type de film, pris dans sa totalité, d’une certaine vacuité.

On mate des gens se foutrent sur la gueule, et plus c’est bien fait (c’est-à-dire « beau », « bien chorégraphié » et « lisible »), plus ce qui se passe au moment des combats gagne en intensité : ça devient « viscéral ». Il se produit chez le spectateur des choses à un niveau souterrain, un étonnement physique devant ce que peut et ne peut pas un corps qui met/prend des coups. Il faut une maîtrise formelle pour nous faire ressentir ce truc intestinal et réjouissant. Là-dessus, A bittersweet life, dans la tradition des heroic bloodshed, est pas mal. La scène suivant l’enterrement a du punch. Des petits passages en vue quasi-subjective viennent amplifier le plaisir et les moments de respiration, où le personnage réfléchit à comment il va bien se démerder, augmentent la lisibilité et donc l’intensité des moments où ça bouge.

Le problème inhérent à l’esthétique de ce genre de film d'action, c’est l’articulation de ces moments de viscéralité avec le reste. Soit on met de l’action constamment, ce qui engendre plein de problèmes, soit il faut bien mettre des choses dans le cadre entre les moments de boucherie. Et en même temps, les choses qu’on va mettre dans le cadre ne peuvent pas être mises dans l’ignorance que ce cadre inclut des moments d’hyper-intensité - minorant nécessairement le reste. A bittersweet life raconte une vengeance et c’est normalement plutôt efficace : les moments hors action sont là pour faire monter la pression. On veut que le personnage en découse et on prend du plaisir quand ça advient (surtout quand le film nous montre antérieurement les grandes capacités du personnage comme le fait A bittersweet life). On peut reprendre l’exemple de la scène post-enterrement : le personnage encaisse les pires sévices pendant quasiment vingt minutes avant de se rebeller, et c’est aussi pour ça que la scène de sa rébellion fonctionne si bien.

Mais le film ne fait malheureusement pas que ça, à savoir une mise en tension préalable à l’action via une simple histoire de vengeance. Il cherche à raconter une histoire d’amour. Et là c’est quand même fou, ce pourrait être tout simple, utiliser la femme comme moteur de la vengeance, mais non, il faut que le film essaie la subtilité. Qu’en-est-il de la subtilité dans un dispositif orienté vers la monstration de corps éclatés ? Ce n’est pas rhétorique, je me pose vraiment la question.

Le réalisateur va en tout cas essayer de dépeindre un attachement incongru qui va conduire le héros à ne plus agir exactement tel qu’il agissait au début du film. Ça ne marche pas. Le talent du réalisateur pour l’action ne se duplique pas pour le reste. Les moments hors action sont plombés par des procédés de merde (citation poétique de 4ème en intro, gros plan sur une épaule figurant le désir naissant, zoom sur le personnage de dos en courte focale pour bien montrer qu’il se produit dans sa tête un bouleversement, etc.).

Et en pleine montée en puissance de la vengeance, le réalisateur va nous montrer le personnage chercher des réponses auprès de ses ennemis, hésiter à se venger, adopter une pose d’esthète pas convaincante du tout. On dirait que le réalisateur veut « poétiser » l’action au-delà des scènes où elle éclate, comme si sa « poétique » n’était pas à l’intérieur de ces même scènes.

Au sein du dispositif mis en place par le film, ces scènes, les scènes d’action, sont inégalables en termes d’intensité. Il faut comprendre que ce n’est pas rien de mettre régulièrement des os qui pètent et du sang qui gicle dans le cadre, ça produit des trucs sur le spectateur, c’est l’événement du film qui produit une esthétique (est-ce qu'elle est intéressante, c'est une autre question), une esthétique diminuant la puissance de ce qui est hors action. Il faut donc se mettre au service de cet événement, pas le tiédir avec une narration sirupeuse ! Mettre de la « douceur » simplement pour faire contrepoids à cette hyper-intensité physique, c’est produire des scènes ridicules, des saillies molles qui, d’une certaine manière, discréditent la violence du film. Si le tout devient vain, ce n’est pas parce que le film est particulièrement con (il l’est), mais parce qu’il ne prend pas acte que le plaisir du film de combat est la viscéralité même ! Il cherche à la justifier alors qu’elle est suffisante (peut-être justement parce qu'elle est injustifiable) et qu'il n'y a qu'à organiser le film autour d'elle.

Bretzville
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le 5 sept. 2022

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Bretzville

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