Du petit lait pour toute personne intéressée par le travail de Robert Flaherty, de près ou de loin. Et donc, par contraposée, quelque chose d'insignifiant pour les autres... A Boatload of Wild Irishmen s'inscrit dans un cadre beaucoup plus large de travaux qui ont cherché à comprendre les méthodes de travail et la portée des films du réalisateur américain né de parents irlandais, comme par exemple une enquête ethnologique sur l'Île d'Aran par James B. Brown et George C. Stoney en 1978, How the Myth Was Made, ou encore le documentaire de Mark McCarty qui entendait ne pas tricher sur le même sujet, The Village, dix ans auparavant en 1968.


C'est sans doute lié à la nature controversée du travail documentaire de Flaherty, qui a en quelque sorte ouvert la boîte de Pandore de ce format dès le début de sa formalisation en introduisant des éléments fictionnalisés (une technique de pêche révolu dans Nanouk l'Esquimau, une prise de risque imposée aux habitants de l'île dans L'Homme d'Aran, une tradition de tatouage disparue dans Moana, voire de manière plus évidente toute l'intrigue de Louisiana Story) dans ce qui était censé représenter le vrai, mais il y a presque nécessairement une remise en question de ce qui est montré — le corollaire étant qu'il n'y a jamais cette dimension hagiographique pesante dans les enquêtes citées plus haut. Ainsi Mac Dara Ó'Curraidhín analyse assez rigoureusement, si ce n'est scolairement, tout ce qui a pu être distordu volontairement sous l'œil de Flaherty.


Et le résultat s'avère à la fois critique et respectueux, de manière étonnante. Il y a des témoignages précieux de personnes ayant été impliquées dans des tournages, comme Joseph Boudreaux, l'enfant de Louisiana Story (expliquant 50 ans plus tard comment Flaherty fonctionnait, quels choix il a fait, et comment il l'a généreusement rétribué), ou encore Richard Leacock, chef opérateur et producteur sur le même film (une mine encyclopédique d'informations intéressantes). Des intervenants parlent également de l'impact que les films ont pu avoir sur les populations locales et sur l'image renvoyée à l'international, des réactions parfois diamétralement opposées. Il y a notamment cette descendante inuite, rappelant à quel point le tournage de Nanouk a altéré le mode de vie des habitants, à la différence d'habitants du Samoa qui regardent régulièrement Moana en appréciant les images de leurs ancêtres.


Le docu n'est pas tendre avec Flaherty au sens où il n'hésite pas à aborder les points très négatifs de son fonctionnement, son caractère parfois autoritaire qui se traduisait dans des moyens de persuasion pas toujours très éthiques, les aspects que l'on peut relier à de l'exploitation ou de la falsification, et bien évidemment la dimension très partiale des activités des locaux qu'il retenait ou rejetait pour ses films. Colman 'Tiger' King, l'homme d'Aran éponyme, semblait par exemple totalement insensible à son travail, des décennies plus tard. Les témoignages laissent toutefois apparaître une pluralité de points de vue très appréciable, y compris dans le registre du surplus de sens et de poésie créé par son approche. Ce qui en émerge forme un portrait cohérent, ambivalent, complexe, illustrant à merveille la diversité des perspectives que l'on peut adopter à l'encontre du réalisateur.


https://www.je-mattarde.com/index.php?post/A-Boatload-of-Wild-Irishmen-de-Mac-Dara-O-Curraidhin-2010

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le 19 sept. 2023

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