Un film sans courage (dans la forme et l'approche) sauf pour sa propagande qui en demande une couche

Ça ressemble à du Chabrol des heures sombres (Le Boucher, La Cérémonie), qui n'aurait ni la force ni les capacités d'apprécier les choses comme elles sont, au mieux se gâcherait à devenir partial tout en amortissant au maximum pour garder l'honneur sauf. Le premier film de la coréenne July Jung se livre en deux faces : une sociale, une perverse. La première couche est 'correcte' et agaçante, la seconde autrement crue et réellement douteuse. Elle s'avère pourtant totalement solidaire, car c'est le temps où le film se trouve face à 'pire' que ses vices (ou ceux de ses protagonistes dont il est le défenseur sinon le chantre) et ses tentations, qui ne seraient qu'illusion ; pour rejeter la faute ailleurs et refuser de trancher à propos du cas qui l'intéresse prioritairement. Il part alors condamner le coupable tout-désigné depuis le départ, en enfonçant la charge (contre l'intolérance et la brutalité du milieu). Après quelques flottements liés aux divers rebondissements et approfondissements potentiellement explosifs, A Girl at My Door s'avère le même. Malgré les pirouettes, il scelle le mariage de la malice et de la légitimation des revanches pour chères 'victimes' – dont les troubles et affinités sont par ailleurs objets respectables, sinon attractifs. Autrement dit : ce salaud l'a bien mérité et nous, opprimées aux natures atypiques, nous avons le droit de mener nos propres vies ; de nous épanouir comme nous sommes pour l'adulte, de nous re-déterminer pour l'adolescente. Sur ce point le film rejoint celui de Laugier, The Secret (où il faut s'échapper d'héritages lourds, casser le cycle pourri et 'l'avenir écrit d'avance'), en s'en distinguant par son optique strictement individuelle (et 'hédoniste').


Le résultat a beau sentir le soufre (il arrive dans la moyenne haute de la défonce de tabous par les coréens, mais sans le goût habituel pour le grotesque et encore avec cette 'distance' anesthésiant la transgression), il est loin d'être original. A Girl a notamment des points communs avec My Sweet Pepper Land : dans les deux cas on trouve une jeune protagoniste décalée dans un milieu 'retardé', à la campagne, avec de la violence et de la misogynie. L'accent est mis également sur la médiocrité, qui est le vernis 'trivial' couvrant les deux autres. Comme dans Garde à vue avec Serrault (ou La Chasse de Vinterberg, mais celui-là est bien trop caricatural et débordant de haine), le film semble dénoncer les procès calomnieux en pédophilies, partant sur des présomptions – ou diffamant à cause de l'homosexualité. Sauf que le film contient plusieurs scènes borderline (le bain, le shopping et la découverte par la petite de sa féminité d'ado – à laquelle contribue la télévision, ce qui n'est pas interrogé, mais comme le reste des 'épanouissements' de la fille, perçu avec bienveillance ou attendrissement). Le rôle de mère de substitution pourrait les justifier, mais le jugement manque sur cette partie, alors que le film le pratique constamment à l'endroit des personnages et de leurs réactions (moins vers la fin où son système n'en a plus besoin). S'il s'en tenait à la psychologie, qui reste sa méthode par ailleurs, A Girl ne poserait pas de problèmes ; or il est manifestement 'engagé' – en faisant ressentir l'emprise du machisme, des familles abusives, mais aussi les turpitudes de la pauvreté et de l'ignorance. Il ne cherche pas à comprendre ces dernières, ne se pose pas la question des conditions et des origines (alors que tout est devant, à portée) – en revanche il prend partie en faveur des travailleurs clandestins.


Bien que le film reste peu offensant a-priori, largement présentable devant un public mixte, sa lâcheté face à ce qu'il titille le rend plus dérangeant que des films franchement indécents ou provocateurs. Mysterious Skin ose suggérer l'innommable (l'acte) et l'inconcevable (les 'satisfactions') ; il a choqué abondamment, mais il est moins ambigu, pas au service d'une vengeance (encore moins dans l'idéal de revanche), n'inclue pas les fautifs (les adultes) dans l'évasion vécue comme 'positive'. Les méchants des Innocents, du Village des damnés ou des Révoltés de l'an 2000 brisent des représentations confortables, mais ces films ne sont pas des plaidoyers plus ou moins déguisés. Ici, l'enfant a sa part de monstruosité quand l'affaire commence (quoiqu'elle a pu être insufflée, par la flic ou par son arrivée) ; l'adulte n'initie probablement rien, mais valide ses méfaits et ses attitudes inappropriées. Dans Mysterious, on fait avec les restes ; ici, on ne dit mot et consent largement, blâme l'environnement pour mieux faire passer. Dans Eden Lake, face au mal venant de ceux qui ont l'âge d'être des anges, ou au moins des puceaux de la vie et de l'horreur, on ne faiblit pas, on ne pleurniche pas dans leur sens. Au contraire, ce film impose notre consentement, le lie à l'empathie ou la fascination qu'il cherche à cultiver à l'égard des deux 'malmenées'. Il ne connaît le doute et la complexité que pour se cacher, jamais pour analyser, encore moins pour représenter.


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le 28 juil. 2017

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