A Quiet Dream
6.7
A Quiet Dream

Film de Zhāng Lù (2016)

Avec A Quiet Dream, Zhang Lu, réalisateur sino-coréen prolifique vivant non loin de la Corée du Nord, signe sans doute le long-métrage le plus étrange de ce Festival du Film Coréen à Paris 2017, mais aussi le plus exaltant.


Forgé par les différentes origines de son auteur, A Quiet Dream, derrière sa simplicité apparente, a tout de l’oeuvre insaisissable, dont la richesse cinématographique se dévoile seulement à ceux qui ont l’audace d’en explorer tous les recoins, les interstices, les chemins de traverse. Avec son noir et blanc à la douceur apaisante, ses personnages masculins loufoques interprétés par des réalisateurs reconnus, et ses discussions légères dans un bar autour d’un verre de soju, A Quiet Dream semble au départ tout droit sorti de l’univers de Hong Sang-soo, tant les similarités sont nombreuses. Il faut dire que la cour effectuée par Ik-joon (Yang Ik-joon, réalisateur de l’immense Breathless), Jong-bin (Yoon Jong-bin, réalisateur de Kundo et Nameless Gangster), et Jeong-beom (Park Jeong-beom, réalisateur de Alive, présenté au FFCP en 2015) auprès de la belle Ye-ri (Han Ye-ri, qui jouait la jeune clandestine dans Haemoo de Shim Sung-bo), rappelle quelque peu Our Sunhi, sorti il y a quatre ans. Ces trois personnages ne cessent de graviter autour de la jeune tenancière de bar sino-coréenne, l’un et l’autre essayant de la séduire à leur manière, en l’aidant dans ses tâches quotidiennes, en prenant soin de son père tétraplégique, en l’accompagnant dans ses balades journalières. La rivalité saine entre les trois amoureux constitue le principal moteur comique du film. On rit de leur lourdeur un peu benêt, et on s’attache facilement à ce petit groupe dont la cohésion s’affirme avec le temps. Ils se chamaillent souvent mais deviennent inséparables.


Zhang Lu filme ce bar comme une oasis perdue au milieu de la ville, où ces âmes marginales viennent trouver un peu de tranquillité, et une nouvelle raison de vivre. Au détour de quelques dialogues, on en apprend un peu plus sur leur histoire respective. Ik-joon est un ancien membre de gang (on le remarque tout de suite à son accoutrement et à sa façon de marcher), Jeong-beom est un nord-coréen qui a fui son pays, Jong-bin est le propriétaire des lieux, qu’il loue à Ye-ri. Chacun porte ses fantômes et son mal-être en lui, que ce soit un lourd passé, un trauma, un problème de santé, ou une peine de cœur. Ainsi, le caractère de chaque personnage s’affirme à travers un parcours de vie qui lui est propre. Mis en perspective, le regroupement de ces personnages nous apparaît comme une volonté pour le réalisateur de confronter les différentes figures sociologiques que l’on peut rencontrer aujourd’hui en Corée du Sud. Mais ici, point de réflexion emphatique qui alourdirait le propos. Zhang Lu préfère instaurer une ambiance languissante, flottante, voire déroutante, propice aux envolées mélancoliques, parfois à la frontière du fantastique.


Car la simplicité apparente des premières minutes laisse rapidement place à une narration bien plus évasive, où l’enchaînement des séquences paraît de plus en plus difficile à appréhender, comme si le réalisateur voulait nous immerger dans une succession de rêveries qui, in fine, seraient l’incarnation d’une pensée utopiste quant à l’avenir de la Corée. Il y a, chez le cinéaste, une envie d’aller de l’avant, de rassembler, de fédérer, et de suggérer des réponses tout en préservant une atmosphère vaporeuse et insaisissable, tel un contrepoint qui viendrait alléger la dimension sociale de l’oeuvre pour mieux nous emmener vers quelque chose de plus mélancolique et poétique, presque fantomatique. Zhang Lu, par ses choix de cadres judicieux et son montage singulier, parvient à nous désorienter, à nous perdre au milieu d’un film-puzzle qui dévoile progressivement ses richesses et ses divers niveaux de lecture. Ainsi, le long-métrage est parsemé ça et là d’instants tantôt énigmatiques, tantôt absurdes, à l’image des entrées et sorties de champ de certains personnages, que l’on pourrait qualifier d’irrationnelles. On ne sait finalement pas vraiment si les scènes en question tiennent du réel ou du fantasme.


Zhang Lu confirme qu’il faudra compter sur lui dans les années à venir. C’est un cinéaste talentueux qui n’oublie jamais de faire du cinéma. Un cinéma généreux et méta, porté par d’excellents interprètes, des réalisateurs/acteurs qui amènent chacun un peu de leur propre cinéma dans leur personnage respectif. Quant à la géniale Han Ye-ri, elle illumine le film de sa présence. Une douceur et un charme qui magnifient chaque scène entre elle et les trois amis. A Quiet Dream est une oeuvre profonde qui porte merveilleusement bien son titre. Un rêve tranquille dans lequel il vaut mieux s’abandonner afin de profiter au maximum de ce que le film a à offrir.


http://eastasia.fr/2017/11/13/ffcp-2017-a-quiet-dream-de-zhang-lu-la-douceur-dun-reve/

DelSpooner
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le 15 nov. 2017

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