Pourtant friand des épopées galactiques dont les dernières années nous ont abreuvés, il m’a été très difficile d’entrer dans ce film très froid, d’y ressentir une quelconque émotion, un quelconque vertige. Seulement un sentiment, peut-être : la honte de placer à ce point l’humain au centre de l’Univers.


Ad Astra est un film sur l’homme, davantage que sur l’espace. La photographie est belle, la lumière et la mise en scène sont irréprochables. Mais l’exploration spatiale en tant que telle n’est pas étudiée, décortiquée, mise en valeur. Ce n’est pas le sujet ? D’accord : l’espace n’est ici qu’un décor, qu’un prétexte au développement d’un propos sur la solitude de l’Homme. Pourtant, ironiquement, cette idée semble « manquer d’espace » pour être finement développée : on comprendra l’incapacité du personnage à ressentir et exprimer des émotions. Mais les quelques percées au cœur de sa psychologie, à travers les commentaires en voix-off sur son passé, sa relation avec son père, ses souvenirs (d’ailleurs incompréhensibles) de son ex-femme qui ponctuent l’exploration – nous laissent bel et bien sur notre faim. On comprend qu’il s’agit d’un père incapable d’aimer et qui a réussi une fuite un peu plus spectaculaire que le commun des mortels. Soit. Avait-on besoin d’un cadre aussi « universel », puissant, transcendant pour décrire si grossièrement lâcheté de l’être humain ?


Certes, on n’avait pas non plus commandé à James Gray un C’est pas sorcier sur l’exploration de Vénus. Il m’aurait pourtant semblé pertinent d’accorder plus d’importance à l’extra-terrestre et au réalisme dans son récit spatial : laisser l’Homme de côté, par moments, et montrer davantage l’Univers, les planètes, les astres, le silence, l’absence de temps, le néant, le Tout. L’idée est plutôt ici de tout ramener à l’humain en insistant sur les lieux rendus « terrestres » par la « colonisation » spatiale : l’aéroport-centre commercial sur la lune, les tests médicaux délirants sur des animaux, la piraterie sur Mars. Beaucoup de contraintes physiques, de réalités transcendantales et extra-terrestres sont négligées alors qu’elles permettraient précisément un recul sur l’humanité, un décentrage nécessaire, une humilité salvatrice. N’est-ce pas en mesurant la puissance du reste de l’Univers qu’on repense notre place en son sein ? Limiter à ce point la description des réalités de l’espace au profit du contrôle de l’homme sur celles-ci est tout de même regrettable. Le faire jusqu’à terminer le film par un retour sur Terre depuis Vénus en programmant tranquillement son pilote automatique sur la destination « Terre », comme on le fait avec Waze pour revenir d’Intermarché jusqu’à la maison – est carrément risible.


Le paroxysme de la frustration est sans doute atteint lors des retrouvailles père-fils. On s’accommodera du fait qu’elles sont aussi froides que la température à la surface de Saturne (-190°C). Mais on espérait au moins découvrir du personnage de Tommy Lee Jones – en plus de son aigreur et sa déprime maintenues intactes depuis 16 ans – quelques-unes de ses découvertes sur l’Univers, quand bien même sa quête d’une forme d’intelligence extraterrestre est restée vaine. Ses travaux, pourtant présentés par la voix (off) de Brad Pitt comme révolutionnaires, et soigneusement ramenés sur Terre, sont résumés par un diaporama bâclé de Google Images de planètes qui n’aurait rien à envier à un cours de sixième sur le système solaire. Ne garder, de ces 16 années, que l’aigreur, la solitude et enfin le refus de repartir vers là d’où l’on vient : il s’agit d’un portrait réussi de l’homme perdu, qui ne sait que difficilement s’intéresser à autre chose qu’à lui-même et à son espèce sans pourtant jamais parvenir à les aimer. Et qui utilise l’espace comme terrain de fuite sans même se concentrer sur la fascination qu’il peut susciter. En fait, James Gray réussit un film à l’image de la solitude et l’égocentrisme de l’homme qu’il décrit : froid et petit. Ce qui m'a fait me sentir autant l’un que l’autre durant la projection.

GuillaumeKervern
4

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le 22 sept. 2019

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