Ecrit en 1940, le roman de Raymond Chandler Farewell my lovely est l'un des joyaux de la littérature policière noire américaine ; c'est mon premier Chandler lu vers l'âge de 14 ans qui m'a fait découvrir le style cynique de cet auteur dont je suis devenu immédiatement fan, relayé par ma découverte de Bogart dans le Grand sommeil, et ce bouquin figure inévitablement dans mon top10 Livres.
Dès 1942, la RKO en tourne une première version avec George Sanders, et 3 ans plus tard, une nouvelle adaptation de bonne facture est réalisée par Edward Dmytryk sous le titre Adieu ma belle (Murder my sweet) avec Dick Powell dans le rôle de Marlowe.
Contrairement à Robert Altman qui dans le Privé s'était plu à une démystification subversive du personnage de Marlowe et de l'univers chandlerien, Dick Richards a joué scrupuleusement le jeu en retrouvant la grande tradition du film noir hollywoodien à l'ancienne. C'est avec une application nostalgique qu'il a retrouvé l'esprit de Chandler auquel il est resté fidèle par un remarquable travail au niveau des décors et de la photo qui vont de pair avec la magistrale composition de Robert Mitchum. Sa façon de nouer sa ceinture de trench-coat, de porter son chapeau et de garder la cigarette au bec sont issues directement de Bogart dont il reprend le rôle de détective privé plus de 30 ans après, et sans le copier ouvertement, malgré le fait que Mitchum n'ait plus l'âge du rôle, pourtant c'est le Marlowe le plus convaincant depuis Bogart.
Le réalisateur a transposé physiquement la lassitude morale de Marlowe, ce qui fait accepter l'âge de Mitchum, mais contrairement à l'idée reçue, il n'a pas joué la mode rétro comme le fait Polanski dans Chinatown, car il n'y a pas d'accessoires spécifiques des années 40, ni limousines correspondantes, ni décors clinquant ; le film commence dans une chambre d'hôtel sordide, l'action évolue dans un quartier pauvre, visite quelques fast-food anonymes et 1 ou 2 décors luxueux nécessaires à l'intrigue, mais non datés. Si en voix off, Mitchum ne parlait pas de Joe DiMaggio, on pourrait se croire dans un polar des années 60. D'ailleurs, le scénario a innové plus qu'on ne croit : il y a l'âge de Marlowe qui est plus vieux, l'époque située à la veille de Pearl Harbor (alors que dans le livre, on est au début de 1940), et aussi le personnage de la grosse femme Mme Amthor qui est entièrement inventé.
On a vu que la photo impeccable réussissait la transition périlleuse du noir et blanc à la couleur avec des dominantes noires et jaunes qui recréent une atmosphère hautement évocatrice, mais il y a aussi la qualité du casting entourant Mitchum, avec la bonne idée de confier le rôle de Velma à Charlotte Rampling, resplendissante d'une mystérieuse beauté à l'érotisme latent qui rappelle l'aura de Lauren Bacall. On retient aussi John Ireland (dans un de ses rares rôles de flic), Anthony Zerbe, Harry Dean Stanton, Joe Spinell, Jack O'Halloran (impressionnant dans le rôle du colosse Moose Malloy), et même Sylvester Stallone dans un rôle de petite frappe qui moleste Marlowe.
La musique de David Shire respire aussi le perfectionnisme minutieux qui entoure ce remake réussi dont l'intrigue ténébreuse est presque aussi embrouillée que celle du Grand sommeil, c'est la carte de visite de Chandler, chez lui c'est comme ça, il y un début d'intrigue conventionnelle, puis une ou des sous intrigues qui au final se relient à la première. Une oeuvre nostalgique qui je l'espère, replongera les afficionados du film noir classique dans la légende et éblouira les néophytes.

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le 25 avr. 2020

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