Cinq ans après Mon Roi, Maïwenn retrouve le chemin de la réalisation avec ADN. Un drame intimiste, sobre et très personnel, qui questionne le deuil et la quête des origines dans la France cosmopolite. Une œuvre pleine de vitalité, décorée du label Festival de Cannes 2020.


La question de la quête des origines est loin d’être inédite au cinéma. Celle du deuil tout autant. Maïwenn choisit le parti-pris intimiste et personnel, dans un dispositif d’une étonnante sobriété pour une cinéaste de cet acabit.


L’art de la vitalité


Le film débute sur une réunion de famille autour du grand-père, patriarche de la famille de Neige (Maïwenn). Neige est une mère divorcée de trois enfants, qui rend régulièrement visite à son grand-père Emir, qui finit ses jours dans une maison de retraite. Un repère dans sa vie, lui qui l’a aimée et protégée de la toxicité de ses parents, divorcés. Mais ce dernier, atteint de la maladie d’Alzheimer, va décéder. Vient alors le temps de la douloureuse étape de l’organisation de l’enterrement, du deuil et de la reconstruction.


Comme souvent dans le travail de Maïwenn, le ton est donné. On retrouve rapidement l’énergie inhérente à son cinéma, les dialogues qui fusent, l’émotion qui se dégage des situations exposées. Il y a également chez la cinéaste, cette capacité incroyable à alterner entre l’humour et la gravité en une fraction de seconde. Une aisance à l’écriture, des dialogues et des situations, visible depuis le début de sa (encore) jeune carrière.


Une caractéristique de son cinéma qui s’épanouit de la plus belle des manières dans la première moitié du long-métrage. Une émotion qui vire du rire aux larmes en un claquement de doigts. C’est fort, toujours culotté. Dans ce film éminemment personnel pour la réalisatrice, Maïwenn excelle à retranscrire le réel. Comme à son habitude, tout est d’un naturel déconcertant. À commencer par toutes les étapes qui suivent le décès. Les coutumes mortuaires, les cérémonies, les paperasses administratives et autre querelles familiales… on suit scrupuleusement le dernier voyage du défunt, à travers le regard de sa famille. L’émotion nous cueillit souvent, elle nous renvoie à nos histoires, nos douleurs passées et présentes.


Casting à l’ADN Maïwennien


La cinéaste confirme ce don du regard, cette justesse pour retranscrire le réel. C’est effectué avec beaucoup de vitalité et l’on se rend compte rapidement que peu importe le dispositif déployé – ici tournage à petite équipe – la puissance de ses images reste la même. Il y a ce sens de la phrase juste, de l’écriture précise, de l’improvisation qui sert le propos et apporte toujours une fièvre à ses films. C’était déjà le cas dans Polisse et Mon Roi.


D’une impeccable Fanny Ardant, à un touchant Dylan Robert en passant par la légèreté comique bienvenue de Louis Garrel, la cinéaste française peut s’appuyer sur un casting très solide, dont elle arrive à en extraire toute la force afin de servir son propos.


Un goût d’inachevé


Mais il y a un petit couic. Maïwenn brasse tout une variété de thèmes et de sujets, qui se mêlent et s’entrecroisent mais la (courte) durée du film (1h30) l’handicape dans l’exploration profonde de ses thématiques. Alors que le début est d’une franche réussite, la suite peine à trouver la même force, le même souffle, le même intérêt.


Le deuil puis la reconstruction mériterait un film pour chaque thématique. Maïwenn ouvre des pistes – très intéressantes – de réflexion sur le poids de l’héritage, la difficulté de se reconstruire et la quête des origines. Mais cette ultime piste – qui semble être au cœur du récit si l’on suit la logique du titre – est esquissée de manière trop peu approfondie pour qu’elle touche le spectateur avec le même impact.


La réalisatrice délaisse alors les autres protagonistes pour recentrer le récit sur son personnage de Neige. En abandonnant la logique du groupe, le film perd un peu de son souffle. Le cinéma de Maïwenn se vide alors un peu de sa substance, perdant l’énergie communicative au profit de la quête introspective. Même là, le film se conclut au moment où la réflexion globale est à la moitié du chemin. Malgré le sentiment d’inaccompli, rien ne saurait enlever les qualités d’ADN, et le talent de sa réalisatrice. Un regard d’autrice creuse son sillon dans le paysage du cinéma français. Mais il reste comme un goût d’inachevé.


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le 21 sept. 2020

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