Sébastien Lifshitz a ouvert une brèche intéressante en créant cet hybride, mi-cinématographique mi-documentaire. Son tour de force n'est d'ailleurs pas d'affirmer l'un ou l'autre mais plutôt de les faire oublier. Ce n'est pas du cinéma car aucun évènement n'est survalorisé mais ce n'est pas non plus un documentaire car ce n'est pas le quotidien qui est capté mais de simples moments de vie. La discrétion des moyens de mise en scène est bluffante.

Jamais les deux jeunes filles n'ouvrent la porte du méta-cinéma qui consisterait par exemple en une analyse de leur situation, face caméra. C'est même la question que l'on peut se poser en sortant du film. Malgré les ellipses, Anaïs et Emma nous disent à peu près tout d'elles, de leurs amours et de leurs (touchantes) familles, sauf une chose ! La place qu'a eu ce film et ce long tournage dans leur vie. Jamais elles n'évoquent avec leurs familles le fait d'être en représentation. Est-ce qu'Emma a inconsciemment choisi de poursuivre ses études en fac de cinéma grâce à ce lien tissé avec le réalisateur depuis cinq ans ? Forcément, il nous manque les cuisines, l'arrière-boutique de toute cette mise en œuvre géniale. Peut-être que Lifshitz aura, avec les filles aussi, réussi à se faire totalement oublier ? La caméra est là, transforme peut-être un peu les discours des uns et des autres qui se savent filmés, mais se fait globalement oublier. Les prises-son sont également de grande qualité.

Le film en dit finalement assez peu sur la jeunesse française et sa diversité. Mettre la focale sur une ville moyenne permet au contraire de faire des deux héroïnes des personnages à part entière sans qu'elles ne soient des symboles ou les porte-étendards de quoi que ce soit. Il ne s'agit pas d'un film à thèse, malgré les quelques monologues surjoués - notamment celui sur la place des Musulmans en France après Charlie - mais d'un film sur jeunesse qui passe.

Le parcours scolaire des deux filles sert d'appui au déroulement du récit. Il est plaisant à suivre car à la différence d'autres films récents sur l'école, il n'est que pure réalité et ne cherche jamais à grossir le trait (cf. La Vie Scolaire, Entre les murs). Le cursus d'Anaïs en section ASSP vaut bien tous les documentaires sur la filière Pro... Les hésitations d'Emma sur la suite à donner à ses études est un bon moyen d'apprécier l'application Parcoursup et les déceptions qu'elle peut engendrer dans l'orientation des lycéens français. C'est un film très franco-français, pour bien des raisons, en particulier la question des milieux sociaux et du déterminisme familial qui nous pousseraient à suivre telle ou telle voie. Au départ, j'ai trouvé l'affiche du film singeant celle de Boyhood un peu stupide, puis j'y ai vu la malice d'avoir changé le gazon tondu très américain en un champ d'herbe sèche à la française.

Les premières amours et les relations mère-fille sont les deux autres sujets centraux du film, hélas un peu pesants et redondants. Ils relèguent d'ailleurs l'amitié des deux filles au second-plan. Alors que la bande-annonce et la présentation du projet suggéraient une relation amicale forte, les chemins de vie d'Emma et Anaïs semblent ne plus se confondre à leur sortie du collège. Je tire mon chapeau au réalisateur de n'avoir pas voulu artificiellement les réunir trop souvent pendant la période lycéenne. Leur dernière rencontre à la fin est émouvante car elles savent que plus rien d'autre, hormis ce film, ne pourrait leur servir de lien à l'avenir.

Franck_Saffioti
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le 11 sept. 2020

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Franck Saffioti

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