Le film, qui a déjà eu l’audace de rendre bien fade mon repas d’après-projection, m’a poursuivi jusque dans mes rêves ! Essayons de le chasser de mon esprit par la critique.

Tout s’ouvre sur un ballet chorégraphié, millimétré, dans lequel une brigade, resserrée et familiale, conçoit un repas roboratif. Vol au vent, turbot, carré de veau, choux farcis, omelette norvégienne. À qui s’adresseront ces merveilles quasi disparues ? Aux notables du coin, devenus friands de ces réunions chez Dodin, le Napoléon des fourneaux d’Anjou.

Pour les amateurs de cuisine, le film est nourri d’anecdotes truculentes sur l’origine des plats, des produits et des préparations. Sur ce point, lorsque les protagonistes de la première tablée prennent la parole, il n’est pas rare de trouver leur discours récité, porté par une espèce de didactique quelque peu indigeste, où tout ce qui est expliqué doit l’être dans le détail, quitte à perdre l’ « aspect de réel ».

Le film est donc une leçon de cuisine, une « lecture » comme disent les anglais. En cela, le personnage de Pauline, jeune enfant au visage angélique et à la diction parfaite, prend toute son importance. Elle est l’héritière programmée de la transmission des enseignements de Dodin et Eugénie.

L’époque, la fin du XIXe siècle, n’est jamais citée, mais en évoquant Carème et en faisant référence à Escoffier et à son arrivée spectaculaire dans son palace de Monte-Carlo, on comprend que le film cible l’âge d’or de la gastronomie, un temps où les plats devinrent œuvres, jusqu’à l’excès parfois comme lors de la réception donnée par le Prince d’Eurasie et son repas de 8 heures. Mais c’est aussi un temps où tout n’était pas encore connu ni inventé comme le dira le médecin de sa propre profession. Chaque art, si tant est que la gastronomie en soit un, a connu cette croisée des chemins spectaculaire durant laquelle la création sans cesse renouvelée a été une émulation pour chaque artiste. Dodin admire Escoffier alors qu’il est son concurrent. La cuisine d’aujourd’hui serait ainsi cet art moderne, contemporain, réussi dans un autre style, celui de l’épure, et de son accessibilité, mais loin des grandes heures de cette gastronomie foisonnante et délirante. Kandinsky n’est tout de même pas Raphaël, Gagnaire n’est pas tout à fait Escoffier.

Au-delà de la beauté des images et des demi-silences des cuissons et des chocs des ustensiles, le film installe une rythmique lente, portée par une histoire d’amour magnifique, subtile et originale qui ne dessert jamais le propos. La relation Dodin-Eugénie ainsi que leur rapport aux autres est marquée par une douceur de vivre, une délicatesse qui apaisent tous les tourments. Ce sont là les moments de digestion idéaux aux scènes de bombance ! Le couple s’établit dans le respect de l’autre et de ses envies.

Le château, lieu de l’essentiel du film, devient alors utopique, tout ce qui le traverse est traversé par sa beauté. Aucune méchanceté n’y entre, tout le monde se soumet à l’endroit, à ses rituels de perfection culinaire, à sa tranquillité. On aurait envie d’en être !

Enfin, le film n’est pas exempt de moments amusants. Comme cette dégustation d’ortolans (à pattes de mouche comme dirait ma grand-mère) sous la pudique serviette ou des phrases cocasses : Balzac m’a régalé l’autre jour. “Oui, Balzac… le chef-cuisinier du Grand Hôtel !”

Franck_Saffioti
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le 12 nov. 2023

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Franck Saffioti

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