En 2018 sort Jusqu'à la garde de Xavier Legrand, qui révèle au public un jeune acteur brillant, Thomas Gioria. Alors, en apprenant que ce dernier est à l'affiche d'un intriguant film belge sur l'errance de deux adolescents en pleine nature sauvage, et que le réalisateur est Fabrice du Welz, habitué des personnages un peu fous, extravagants, comme dans son mésestimé Calvaire (2004, avec l'excellent et grand second rôle Laurent Lucas - connu pour Harry, un ami qui vous veut du bien ou récemment Grave), cela suffit à attiser ma curiosité.


Ajoutez au casting un Benoît Poelvoorde halluciné, comme sorti de nulle part et une autre jeune actrice, Fantine Hardin, au parcours déjà impressionnant pour ses 14 ans, et cela donne un des films les plus intéressants de ce début d'année - à l'affiche, dessinée, magnifique. Car oui, j'ai aimé Adoration, je me suis laissé envoûter par le film, même si j'aurais sans doute aimé être transporté encore plus loin, comme s'il manquait quelque chose au bout du voyage... Encore plus d'audace ? Une passion amoureuse trop sage ? Pas assez "sulfureuse" ? Peut-être.


Ces petites réserves mises de côté, voilà en quelques mots l'intrigue, très simple, au fond : Paul (Thomas Gioria) est un garçon dont la naïveté n'est pas feinte, pas plus que sa bonté de coeur. Un jour, il rencontre Gloria (Fantine Harduin), jeune fille internée dans un asile psychiatrique, et s'enfuit avec elle...


Tourné au cours d'un été dans une nature belge qui pourrait tout aussi bien être la jungle amazonienne ou les bayous de Louisiane, Adoration fait partie de ces films que l'on vit comme des rêves, la lumière participant beaucoup de cet onirisme par moments cauchemardesques.
Car si le réalisateur, au tournage, s'est laissé porter par l'instant, par ce que la Nature avait à lui offrir plutôt que d'essayer de la dompter et de créer quelque chose d'artificiel, Gloria, elle, ne se laisse pas non plus dompter et peut par moments se révéler complètement incontrôlable.


La mise en scène suit, la caméra tremble, vacille, des zooms renforcent le chaos. Dans ces moments-là, la jeune actrice parvient à faire passer beaucoup d'émotions par son regard, un regard qui frappe aussi en interview. Les regards et les visages, Fabrice Du Welz aime les filmer, il aime être proche de ses personnages. C'est d'ailleurs ce que la première séquence du film nous offre à voir : un moment d'intimité partagé avec Paul, qui recueille et soigne un oiseau blessé. Une première scène où le jeune garçon occupe tout l'espace, irradie tout le cadre.


Le film se distingue particulièrement de par les portrait qu'il parvient à dresser de ces deux personnages adolescents et la façon dont il fait résonner les personnages, leur quête avec l'expressivité des décors. Rares sont les cinéastes qui trouvent le bon équilibre, la justesse nécessaire pour filmer l'adolescence sans cynisme ni complaisance, d'ailleurs les acteurs ne semblent pas être regardés comme des gamins mais déjà comme des adultes. Adoration rejoint ainsi ces films qui font dialoguer des paysages, des territoires de fiction avec des personnages enfants ou adolescent, comme Jeff Nichols avec Mud notamment, mais aussi L'autre de Robert Mulligan - autre film baigné par une lumière fascinante.


Naturaliste, le film prend pourtant des aspects fantastiques par moments, à travers la nature tout comme ses personnages humains. Fantastique ou bien inquiétants, le trouble, le doute, l'ambigüité sont souvent présents, comme lorsque apparaît Benoît Poelvoorde mais aussi à travers un couple parlant néerlandais lui aussi sorti de nulle part. Cette inquiétude, elle passe beaucoup à travers le personnages de Gloria. Mais l’ambiguïté inhérente au film et au personnage de cette jeune fille étrange n'est pas que négative. Au contraire, Gloria est un personnage en fin de compte aussi attachant que Paul.


Je vous encourage vivement à aller voir Adoration, film singulier d'un auteur qui parfois s'est perdu en faisant des films de commande, notamment un récemment pour Netflix. Un cinéaste injustement descendu pour Calvaire en 2004, mais qui est ici en pleine maîtrise de son art, de son sujet et de ses acteurs. Et ce malgré la petite réserve que j'évoque au début de ma critique, car malgré cette impression de rester sur ma faim, j'ai été sincèrement touché, ému par ces personnages.


Ainsi, Adoration confirme le talent de Thomas Gioria et de Fantine Hardin, que j'ai hâte de retrouver dans d'autres projets aussi originaux et passionnés, dans d'autres voyages, dans d'autres territoires de fiction.


Si ça t'intéresse, j'ai fait une interview du réalisateur et des acteurs que tu peux trouver ici : https://soundcloud.com/thomas-aunay/la-derniere-piste-s03-ep02-adoration-enfance-nature
Bonne écoute :)

Thomas_Aunay
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le 22 janv. 2020

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Thomas Aunay

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