Les caméscopes reviennent à la mode. Ils et elles ont grandi dans les années 1990 et 2000 : la couleur de leur enfance s’efface, mais le petit objet vidéo irradié, carré, moucheté, bruité, leur retourne un peu du temps qui plongea dans les pertes. Passeport technique. Il certifie l’âge, valide l’histoire. 


Aftersun réinvoque l’artefact, et quelques autres équivalents : le Polaroïd, l’appareil photo. qui va sous l’eau. J’aurai dû le voir venir peut-être : au fond, pas de diégétisation du geste de filmage amateur autrement que sous la forme d’un essaimage ; petits signes d’un moment qui s’éparpillent. Sans fétichisme, j’ajoute, ni du corps du caméscope, ni de son image. La vidéo a d’abord une fonction indicielle, fait basculer le temps du film, creuse un passage depuis le présent de la narration. Le reflet de la petite Sophie devenue adulte dans la vitre de l’écran où repasse le film de vacances, voilà, en un détail spectral - et puis qui donnerait à la contingence si fragile de l’apparition d’une image secondaire (le reflet dont on ne remarque la présence que lorsqu’il se meut) sur une image pauvre (l’image vidéo re-filmée et recadrée) l’autorité d’un signe de la stratification temporelle, de la coprésence sur le point de se diviser dans le temps -, le mode précis de l’usage qu’Aftersun ferait de son petit appareil. 


Nous y voilà sans doute : l’image comme surface de re-projection, et dont, peut-être, l’apanage matériel serait moins son outil de captation que son outil de dévoilement. À commencer par ces écrans de télévision. Bien-sûr, un peu plus tard, et d’un régime de regard à un autre, l’écran de cinéma. Mais se tisse, entre les deux, un principe d’articulation formelle qui ne trompe pas. À favoriser un mode d’apparition de la vidéo comme bilan, récapitulation, synthèse, information, la structure du processus s’efface. Les personnages ne filment pas. Ils sont déjà dans les images qu’ils ont filmées. Tout est accompli depuis longtemps, c’est un petit peu le propre du souvenir, du rêve (on y voit, mais y bouge si difficilement), et du cinéma. 


C’est drôle, tel qu’on me l’avait présenté, je croyais au découpage du film en segments parcellaires, lacunaires : des moments où l’image du caméscope serait intégrée au bandeau du récit comme frange à part entière dans son défilement, en alternance avec une autre ligne, appropriée, conventionnelle, celle du récit dirigé, écrit - mais d’un récit troué -. Avec ça, surtout, je pensais trouver une certaine pédagogie du geste amateur. Qu’est ce que c’est qu’intégrer la perspective narrative dans le corps même de la diégèse ? C’est à dire dans une de ses extensions matérielles, mise aux mains d’un morceau de récit - soit d’un personnage -, et autrement que comme la mystification du found-footage qui cacherait un feature film ? Justement: cette pédagogie du geste amateur aurait consisté à coller deux régimes d’élocution filmique (l’une délivrée par l’organe narrateur du récit, l’autre par un personnage filmeur) et puis à comparer par la force architecturale du montage les différences arbitraires des méthodes d’enregistrement apposées. 


Laisser le film dévoiler le mystère de sa perspective, qui, peut-être, n’aurait pas/plus essayé de se fondre dans la transparence d’une vision sans corps, dans l’évidence de ce qui n’est même pas un regard : monde à part entière, émanation de l’écran, découpé de la lumière et du bruit à la seule intuition du réel. Au contraire, le voir accuser ses opérations de sélection, laisser croitre, au contact syncopé d’une image prise par une petite fille en vacances, ses défauts affolants de négligence, accepter enfin qu’une image, c’est juste une image


Premièrement, cette image caméscope, pour le peu de fois qu’elle revient, est recadrée. L’image du film est, naturellement, en 1,85:1, soit au standard américain. Et l’image d’une miniDV doit correspondre à quelque chose comme du 1,33:1. L’une est rectangulaire, s’allonge en un conventionnel rectangle de lumière où s’agenceraient les corps dans une graphie digitale de ce qui s’aligne plus que ne se superpose, l’autre tient davantage du carré (pas exactement certes, mais dans le cas d’une mise en successivité avec les images 1,33:1, aurait fait cet effet). Or, Charlotte Wells (je la nomme mais est-elle à l’origine de ce choix ? Derrière elle je pressens quelque obscure détermination institutionnelle, et puis morale : « ne rompez pas mon emprise ! ») semble avoir préféré les disposer dans une continuité de format avec les images-étalons. Pas de décadrage-en-cours-de-séquence, pas de transition abrupte, pas de désignation du médium. Pas de recul de la représentation sur elle-même. Les images caméscopes en 4:3, lorsqu’on rogne leur sommet et leur base, se prêtent sans mal au jeu du fil diégétique, pour peu qu’on comprenne ce qu’elles suivent. Mais je sais qu’on y perd précisément le ton d’une image amatrice, qui ne se donne pas à lire - bien davantage se donne comme vignette à durée déterminée -, et au fond tout le monde le sait. 


Et puis le geste déteint autrement. J’ai dit qu’il n’était pas montré : les images sont déjà là et personne ne prend le temps et la matière pour les enregistrer dans la durée et dans l’espace (on n’éprouve que peu l’un, j’y reviendrai, et pas l’autre). Ajoutons à ça ce que je dis précédemment : images découplées, décorrélée de leur format standard pour le bien du récit. En revanche il aurait comme infusé dans la praxis de la cinéaste, ledit geste. Je distingue quatre choses, quatre traces, quatre empreintes du contact indirect entre formes de la vidéo miniDV et formes du cinéma institutionnel ; on pourrait en ajouter, mais les voilà déjà. 


En premier lieu ce que j’appellerai une transitivité maladroite des formes ; je pense aux mises au point rallongées sur tel corps au premier plan, tel horizon dont le premier plan ne ferait plus office de foyer du regard, s’évacuerait sur la droite, tel morceau de mer, qui se préciseraient lentement dans une errance technique interdite. Cette scène sur le bateau après la baignade en mer où Sophie a perdu un masque de plongé, exemplairement. Calum reste un peu seul, l’argument de la scène se dissout en apparence - en fait il se répand partout, les corps n’ont pas à le signifier, l’image peut s’étioler dans le lointain, elle est pleine de ce qu’on sait  à peu près -. Cette maladresse, c’est aussi celle des fondus d’une image à une autre, qui s’amorcent comme un effet de défilement prématuré dès le milieu du plan précédent, à la manière des albums photos mis sous forme de vidéos, et où les techniques de transition se calibrent parfois bien mal sur les images qu’elles effeuillent. La silhouette de Calum assis de dos, nu, sur le lit où il pleure, et qui hante déjà, longtemps, trop longtemps (environ 12 secondes), le plan du même garçon debout en haut du petit théâtre en pierre au pied duquel on lui chante un chant d’anniversaire. C’est un peu une redite du reflet de la Sophie adulte dans l’écran de la télévision, ce même genre de manifestation spectral qui superpose deux corps absents dans leurs temps de référence ; seulement le premier est un effet de montage relatif aux propriétés numériques de l’image, l’autre est un effet de cadrage saisi dans la matière du réel. 


Une deuxième chose, ce serait sans doute la figure du zoom. Elle se profilait déjà dans ces formes maladroites de la transitivité (entre deux plans, entre deux objets du regard). Là, elle reproduit une errance, une béance du regard ballant - mais moins ballant déjà : orienté vers quelque chose, seulement ce quelque chose s’atteint avec la pesanteur technique de ce qui ne veut pas faire de bruit, et cherche à rester fluide - n’arrive, à dessein, que peu à l’un, pas à l’autre -. Extraordinaire : la petite Sophie qui dort sa première nuit dans leur hôtel, et Calum, derrière elle, sur le balcon, qui fume et qui danse en silence. La caméra fixait, au premier plan la masse informe de la dormeuse, on s’en détache progressivement pour s’approcher, sûrement pas par travelling mais pas zoom, du jeune père de dos, derrière la porte vitrée. On l’épie, avec en amorce de notre regard toujours la frange noire d’un drap. Le zoom accuse sa nature de recadrage, de rectangle en rectangle enchainés géométriquement dans la profondeur d’une même image. C’est une opération qui a très mauvaise presse, depuis longtemps ; geste de filmage maniéré qui sent le kitsch, devenu stigmate technique d’une façon-vidéo familiale qui ne se soucierait pas des « bzzzzzzzzzzz » que chaque avancée dans la profondeur ou la proximité d’un cadre cause comme bruit. Aftersun en a tu l’empreinte sonore, gardé la rugosité visuelle. Elle s’adoucit dans l’obscurité de l’heure tardive néanmoins. 


Ensuite il y a ce que j’appellerai la vidange du plan. Une image qui, de façon générale, presque systématique, se désature ; elle se vide moins de ses couleurs par blanchiment, de ses morceaux de ciel ou de lumière qui irradient, de ses reflets tranchants (le propre d’une image vidéo) que de ses informations. À l’image : Callum et Sophie,  parfois une animatrice, un garçon, un employé de la station balnéaire, d’autres touristes… Ils se découpent dans l’image comme un signal imperceptible, fragile, diffus. Leurs contours sont fins comme dessinés à la mine sèche, leurs couleurs ne font pas d’effet, leurs mouvements sont les petits accidents d’une image nimbée de calme - de l’assurance qu’il ne peut rien arriver -. Ainsi on ne suit pas la progression de leur relation : elle est remise sur le métier, rejouée à chaque scène. Ça n’est pas leur sort qui compte. Du tout. C’est seulement leurs images animées, recomposées dans le temps artificiel du montage. Intelligence du film : cet ensemble de scènes aurait pu être mis dans un ordre essentiellement différent, en laissant peut-être l’arrivée à l’hôtel au début, et le départ à l’aéroport à la fin (encore que), le film aurait été exactement le même. Un, deux, trois, quatre (exceptionnellement) personnages à l’image ; un diner spectacle, un jeu d’arcade, un billard, une partie de volley, le contraire même de la progression. C’est aussi, en se désengageant de tous les processus narratifs classiques (la grande forme du passage d’une situation à une autre par l’action, la compilation des personnages-vecteurs qui déterminent, flèchent, pistent ou compliquent le fil du récit), qu’Aftersun produit un certain rapport au temps. 


Oui : le contraire de la grande forme aurait pu être/est habituellement, tel que certain.e.s cinéastes attendu.e.s s’y coltinent, ce plan long, fixe, ouvert, qui laisserait éprouver la densité propre du réel et désignerait par défaut, comme principe moteur du « récit » qui débute au dévissage du capuchon, la contingence ; un imprévu de tournage, un papillon, un chien, un passant, un coup de vent dans les feuilles, une anomalie électronique de l’image et du son. Sophie et Calum sont beaucoup trop important, dans l’économie narrative du film, pour être abandonnés aux accidents de leur environnement. Ainsi, si Aftersun se défait du principe de progression, il se soumet à un autre impératif : celui de l’information. Tous les mots du film lui ont prêté allégeance. Regarde, je suis trop grande pour être ta fille, et toi tu es trop jeune pour être mon père ! Et puis les autres parents sont trop vieux pour que tu t’accommodes d’eux, et moi je suis trop grande pour jouer avec leurs enfants. Aussi, il y a les jeunes, entre toi et moi. Eux ça va, je ne dis rien, tout passe dans ce que je regarde. Aftersun se défait de tout ça, sur la fin - ou plutôt laisse se confondre l’obsession d’un thème avec une maladresse effective, biographique, quand c’est pour dire la séparation. Quand pars-t’on déjà ? Je l’ai déjà dit deux fois je crois… La rentrée, c’est quel jour ? Est-ce que toi tu reviendras en Écosse un jour ? 


Mais ça n’est pas exactement ça qui me reste. Le film sait se taire, a l’obligeance de ce qui, sans doute, dans ce qu’il charrie de je l’ai vécu pour Charlotte Wells, se décalque sur un champ sensoriel du souvenir, bien plus que sur un artifice rhétorique. Je songe à ce motif dans le tapis du corps qui s’allonge, qui dort ou se laisse aller à quelque chose du genre. J’emplois l’expression à dessein : il y a le tapis que Calum achète. Et il y a l’énigme du trou qui sépare le temps de cet été du temps présent. C’est peut-être Roger Odin qui parle de la lacune comme propre au film de famille, qu’on retisserait avec nos souvenirs. Là, au contraire, le segment temporel du passé ne manque pas de continuité. Il se défait des scories de la cohérence, de l’intelligibilité des causes et de leurs conséquences, mais de telle sorte qu’en se déshabillant tout entier du fléchage causal, il ne fait sentir aucun manque. Le seul trou, c’est celui qui débute quand le segment du passé prend fin.  On a déjà parlé du plan de la première nuit à l’hôtel. Il y a aussi Sophie adulte qui se réveille, précisément dans un lit, sursaute peut-être de ses propres souvenirs. On se rappelle de Calum assis dans ses draps, qui pleure. Calum qui rentre, se vautre et s’endort sur son lit, et dont Sophie cache la nudité avec un drap. Elle dormait dans un canapé du hall avant qu’un groom ne la réveille. Qu’est ce qui se passe, là, dans le dépliage de cette gravité qui ne se commente pas ? En fait je ne me demande pas ce qui s’est passé, ce qui se passera, ce qu’ils deviendront, ce qui leur est arrivé. Les faits, les choses, les dates, les papiers de divorce etc. ça n’est pas la cachoterie du film. Mais peut-être, plus profondément, derrière la porte ce qui m’intrigue c’est : que se passe-t’il dans leur tête. Dans la tête de la petite Sophie, quand aux toilettes elle épie par la serrure deux adolescentes parler de leur coup d’un soir, savoir si l’une a fait jouir le sien ou pas, et puis qu’elles s’en vont, et que la petite fille se regarde dans la glace, avec l’air calme, un peu échauffé, qui précède les moments dont on sait (ou pas) qu’ils nous resteront plus tard. Aussi je pense à ce qu’elle voit sous l’eau : les grands se sont jetés dans la piscine de l’hôtel, s’étreignent, achèvent de se découvrir les uns et les autres, et elle a sauté avec eux. Elle est un peu plus bas, dans le bassin, les regarde précisément dans ce qu’ils font, mais finit par leur tourner le dos, manifeste le désintérêt pudique et instinctif de ce qui ne la regarde pas encore. Une même latence dans sa silhouette tournée qui flotte doucement dans l’autre direction, que dans le visage rougeaud, avec la casquette trop enfoncée sur la tête, dans le miroir des toilettes. Le corps de dos et le corps qui se regarde dans un miroir : deux figures de la vie intérieure qu’une enfance lentement dépecée de ses couches familières, au vif de l’inconnu qui se mue en nouvel espace de l’existence, racontent sans un mot. 


C’est aussi, en bonne partie, l’argument de ma quatrième perception d’une contamination du geste amateur dans le système des formes filmiques dominantes. Le regard accidentel. C’est à dire la chose que le film donne à voir en lui tournant le dos ; la visualité propre des dialogues, des moments de coprésence, des tableaux ou des portraits dont le cadre instaurerait l’interface sans fard, sans entremise, d’une rencontre pour le spectateur, rebattue dans un retournement de l’axe. On l’a vu : un liserai de miroir, un écran de télévision éteinte, une embrasure de porte, un visage dont la ligne de profil seule point à la bordure du cadre. En particulier ce plan long, qu’aucun effet de zoom ou de travelling, de panoramique, ne vient rehausser, qu’aucun mid-rush cut et raccord dans l’axe ne saisi, ne clarifie : Calum et Sophie sont sur le lit, la fille demande au père comment était son onzième anniversaire, le sien à lui, parce qu’aujourd’hui c’est le sien à elle. Seulement on ne les voit pas tels quels ; ils se reflète dans l’écran de la petite télévision éteinte, et, au bord gauche du cadre, dans le bout de miroir qui se tient là, pour peu qu’ils restent un peu assis, ne bougent pas trop. On les entend, l’information sonore est assurée, c’est un peu la méthode du film. Mais l’image ne nous offre que ces deux foyers dégradés, secondaires, en petits échos prémonitoires d’une scène de famille qui se fait en parlant. Les symboles, au fond, ne m’intéressent pas : oui, le reflet dans la télé c’est un peu l’empreinte d’un moment dans un objet de re-projection, de souvenir dès sa prime occurence. Oui, il y a le surcadrage qui installe Sophie et Calum dans un havre, un asile, un isolât obscure, et l’autre découpe intra-cadre, le miroir, qui ne laisse voir que Calum, comme s’il était à deux endroits en même temps - avec sa fille, et puis tout seul, insaisissable, sinon par accident ; un reflet, un souvenir qu’on n’a pas choisi, une déduction qu’on fait sans s’en rendre compte -. Le paradigme de l’accident aurait cela de contraire à celui de l’intention normative qu’il ne donnerait pas au phénomène la primauté de sa forme la plus claire : le phénomène se perd dans le chaos de son petit environnement, s’y dilate pour y prendre, bien davantage encore, une force d’évidence. À l’école du caméscope, dont Aftersun livre par moment les touchantes antisèches, on n’a besoin que du son. C’est l’heure de quitter l’hôtel, l’avion décolle bientôt : on le sait parce que malgré le plan vidéo qui vire à l’abstrait dans le lit de Sophie (bazar de pixels désordonnés aux couleurs assombries), on entend l'annonce qui est faite par téléphone à Calum. Dommage que le plan ne dure pas plus longtemps, tout y était. L’image était tout entière disposée à se charger de nos propres affects puisque, équilibre parfait, elle avait l’exacte texture du film vidéo, mais n’en comportait aucun signe distinctif non plus, c’est à dire aucun visage, aucun objet, aucune indication du temps et du lieu qui l’aurait approprié aux personnages du récit. Fragment, accident. 


Ça ne dure pas, donc. Voilà peut-être mon autre déception avec Aftersun. Pas : le film ne dure pas assez longtemps. Au contraire. Mais : les moments de latence ne sont jamais que l’amorce d’une piste, la désignation momentanée d’une impression, ponctuelle, brève, prise seulement dans la durée d’une image ou d’un sentiment qui se constitue et, dès qu’il se forme, qui passe au plan suivant. À ce titre, je distingue le mode de l’instant et et celui de la situation, comme moule d’une forme séquentielle, d’un syntagme intra-filmique. Aftersun relève de l’instant. La durée de ses plans, précisément éprouvée à bien des reprises, n’est jamais concédée totalement à la confrontation de la caméra, des personnages, et de leur environnement. Plutôt, elle est celle d’une intensification, d’un étirement dialectique de deux corps, de deux idées, de deux désirs. À sa façon, même après avoir déjoué ses pièges formels les plus importants, elle verse dans l’intelligible, sa rigueur cohérente, son impératif du contrôle. Le monde d’Aftersun n’appartient qu’à Sophie et Calum. Cette anamorphose qui s’arrondie, se gondole autour de l’organe sensori-moteur du sujet-cinéaste est, pourtant, éminemment légitime. Parler de soi, se risquer par là à ne pas remettre en jeu le déroulement accompli de sa propre enfance, mais au contraire, reconstruire, retrouver, rejouer sans se risquer à la contingence de l’aujourd’hui, ce qui s’est passé, voilà l’implication d’un film qui pècherait par surplus d’écriture, ascendant de l’écriture sur l’image. Ça n’est pas un défaut. 


Sophie ressemble beaucoup à la petite Beppie que Johan van der Keuken nous présentait en 1965 dans le petit documentaire éponyme. C’est quelque chose au niveau des yeux. Mais elles n’ont rien en commun, en tout cas rien que ne nous disent leurs films de référence. Cette parenté par coïncidence à travers les années du cinéma, comme il en existe beaucoup, dessine cependant une ligne de signification nette. On faisait des films sur les enfants, et désormais les enfants font des films. Ils ne sont plus disséqués, ils annoncent le début de leur propre rythme, de l’écoute attentive de leur propre pulsation. L’image ? Elle ne fera que manifester ce qu’ils savent déjà, ce qui est déjà là. Elle ne sera plus vraiment le lieu exact de naissance et de création des faits et des phénomènes. Elle accueillera un sens, une vérité ou un sentiment a priori


La fête plastique des stroboscopes. La débauche des décompositions musicales. Essoufflement, noyade, crainte imminente de la mort et de la séparation. Nadir affectif du film, contrepoint inespéré aux vagues de pixel qui envahissaient l’écran à son début, cette pénultième scène achève de reproduire, d’interpréter au compte goutte le filtrat d’une idée de soi et des siens devenue idée de cinéma. L’effet est garanti. Comme celui d’un opéra. Mais qu’avez-vous fait du caméscope ?

Thecaptaincactus
7

Créée

le 27 févr. 2023

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