Sophie, 11 ans, et son jeune père de 30 ans, se retrouvent dans un hôtel un peu pourri en Turquie, sorte de club vacances pour touristes anglais. Un duo détonnant du fait de leur peu de différence d'âge. Une dynamique à la fois forte et fragile, que le film nous donne à déconstruire, plongeant dans un présent furtif et un passé tenace, qui tient pourtant dans quelques cassettes vidéos.

Le ton général est donné dès le début du film, avec une détresse et un drame latents qui transparaissent des images, celles de la caméra filmant les vacances d'un père et de sa fille, et du caméscope qu'ils avaient à l'époque, les souvenirs mélancoliques de ces vacances.


La question de la temporalité est centrale: il y a l'écart d'âge, d'abord, maintes fois relevées dans le film, à la fois signe d'une relation très mature, voire fusionnelle, mais parfois source de malaise. La caméra prend littéralement le temps: celui de la respiration des personnages, celui de s'arrêter sur les corps. C'est aussi le temps des vacances, un moment de flottement en dehors de la réalité du quotidien, que l'on sait pourtant voué à se finir. Celui du premier baiser et des premiers amours adolescents.


Le relation père-fille est à la fois pleine de vulnérabilité et de maturité. Ils sont en symbiose, dans un équilibre terriblement fragile et nourrissant à la fois. On comprend que le père est dépressif. Des indices, des comportements sont égrenés devant la caméra: les bouquins sur le développement personnel, les mouvements de taï-chi; il y a aussi ce magnifique plan où lui est monté sur le balcon de l'hôtel, face au vide du ciel et de la mer. Les scènes filmées via le vieux caméscope nourrissent le récit, elles sont ce à quoi on se raccroche. Reconstruction partielle et subjective des vacances passées avec son père, ces scènes sont étonnantes de vie.


La caméra s'attache aussi à filmer les personnages, notamment le père, de manière indirecte, comme en miroir ou grâce à un reflet: via l'écran télé, la table en verre au bord de la piscine. Comme si le père était éternellement figé dans sa position de trentenaire, à l'inverse de Sophie, que l'on voit adulte. C'est un film qui déboussole, qui prend aux tripes, qui bouscule et mélange le présent et le passé.

Les moments de danse entre Sophie et son père, comme lors de retrouvailles inopinées, sont bouleversantes. Un film coup de poing, fort et esthétique, comme une fulgurance de vie et de mort. Il donne envie de le revoir une seconde fois à l'instant même où il se termine.

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le 20 janv. 2024

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Emilie Rosier

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