La défense héroïque et sacrificielle du Fort Alamo, qui s'est déroulée sur treize jours (du 23 février au 6 mars 1836), et qui a coûté la vie à 187 soldats texans face aux 7 000 hommes du général mexicain Santa Anna, est ancrée dans l'inconscient collectif américain comme l'un des faits d'armes les plus marquants d'une nation dont l'histoire est relativement récente et la naissance sujette à controverse.
John Wayne, figure emblématique du cow-boy cinématographique, surpassait largement ses concurrents, tels que Gary Cooper, Clark Gable, Kirk Douglas et James Stewart. Dès la fin des années 1940, alors qu'il était la star incontestée du Studio Republic, responsable de ses plus grands succès commerciaux, il nourrissait le projet de réaliser un film définitif. Herbert J. Yates, Président-fondateur du Studio, ne partageait pas cet enthousiasme, considérant le projet pharaonique et jugeant John Wayne incompétent pour le mener à bien.
Cependant, conscient de l'importance de sa vedette, il entretint l'acteur dans une illusion, qui s'effondra face aux exigences de fidélité de Wayne. Suite à cette rupture, l'acteur quitta le studio pour rejoindre la Warner, puis fonda sa propre société de production, Batjac, en 1952. La production cinématographique se poursuit, mais le projet initial n'a pas été abandonné par John Wayne, déterminé à mener à bien son entreprise, quitte à s'endetter personnellement, après avoir sollicité et obtenu le soutien de riches industriels texans.
Ce préambule ne présente qu'une infime partie des défis rencontrés par un acteur dont l'industrie, conformiste, ne comprenait pas toujours les motivations à s'éloigner d'un rôle pour lequel il était très bien rémunéré, avec en plus un projet à la rentabilité incertaine.
Finalement, c'est United Artists qui permettra à Wayne de réaliser ce que l'on peut considérer, avec le recul, comme le rêve de toute une carrière. La seule condition posée étant qu’il revienne sur sa volonté de s’attribuer un rôle mineur au sein de la distribution en acceptant d’endosser la tunique de trappeur et la casquette en peau de raton laveur de Davy Crockett. Une double casquette si l’on peut dire qui compliquera la tâche du réalisateur inexpérimenté, sortant exsangue du tournage.
Conformément aux prévisions, le film suscitera une incompréhension critique, et John Wayne sera quelque peu raillé pour sa tentative de fusionner l'épopée et la tragédie de la bataille, avec une certaine naïveté dans l'exposition des valeurs incarnées par les trois personnages principaux : Davy Crockett (John Wayne), le Colonel James Bowie (Richard Widmark) et le Colonel William Travis (Laurence Harvey).
L'influence de John Ford est indéniable, John Wayne ayant collaboré à pas moins de dix films avec le maître du western avant d'entamer le tournage d'« Alamo ». L'ensemble de la dramaturgie, élaborée par James Edward Grant, que Wayne connaît bien, vise à magnifier le sens du sacrifice de ces hommes, conscients de leur sort inéluctable face à un siège initialement conçu pour permettre au Général Sam Houston (Richard Boone) d'organiser une riposte qui ne se matérialisera jamais.
Au fil de l'approche de l'attaque, les conflits d'ego et les affrontements de caractères s'estompent, permettant à chacun de faire face à l'ennemi avec dignité. John Wayne dont l’implication et la sincérité ne peuvent être mises en cause fait porter par les trois chefs réunis, l’ensemble des valeurs auxquelles il croit, comme l’attachement au drapeau, le respect de la parole donnée, l’oubli de soi face à une cause qui appelle à la transcendance et surtout un sens de l’honneur pouvant aller jusqu’au sacrifice de sa personne.
La personnalité controversée de l'acteur a régulièrement suscité des oppositions, particulièrement dans le secteur cinématographique, contrairement à Humphrey Bogart, dont les prises de position démocrates ont toujours été reconnues.
Farouchement anticommuniste et partisan de McCarthy, conservateur sur de nombreux sujets, l'acteur a même été accusé de racisme. Son non-engagement pendant la Seconde Guerre mondiale, dû à son âge et à ses responsabilités familiales, a en outre contribué à lui forger une réputation d'individu peu enclin à aligner ses actions sur ses déclarations. En ce qui concerne le racisme, "Alamo" suggère que ce sentiment était en réalité étranger à John Wayne, comme en témoigne le portrait de Jethro (Jester Hairston), l'esclave noir libéré par James Bowie, qui choisit de rester au combat face à l'attaque.
De même, le geste du général mexicain, proposant aux civils de quitter le fort avant l'assaut final, est salué. Bien que parfois naïf et empreint d'un idéalisme illusoire, Wayne, loin d'être manichéen et militant, s'investit pleinement dans cette aventure initialement improbable, qui s'avère aujourd'hui être une œuvre de premier plan, sublimée par une esthétique irréprochable, confiée à William H. Clothier pour la photographie et Dimitri Tiomkin pour la bande originale.
Dans le dernier tiers du film, la mise en scène magistrale de l'assaut final par Wayne, à la fois grandiose et sanglant, mérite d'être soulignée. Par conséquent, l'édition d'un Blu-ray de la version cinéma, enrichie de la "version uncut" de John Wayne, représentait assurément une excellente initiative.