Avec Star Wars (1977), Ridley Scott a compris que la Science-Fiction était un terrain fertile pour la création et le succès public. S’il en reprend une certaine esthétique du futurisme décati, il s’écarte en revanche du récit initiatique et de ses stéréotypes pour adapter un scénario épuré jusqu’à l’os, tenant plus du Home Invasion façon Black Christmas ou Les Chiens de Paille, et du Slasher, tout nouveau phénomène en terme de succès au box-office avec Halloween.
Bien qu’il semble profiter des succès de Lucas et Carpenter, Alien représente une prise de risque pour Scott qui enchaîne sur un film mêlant deux genres sous-estimés par la critique, alors même qu’il venait d’être auréolé d’une respectabilité d’auteur à suivre par cette dernière grâce à son premier film Les Duellistes en 1977. Alien sera donc seulement son deuxième film, mais ce sera un coup de maître.
En revoyant Alien, l’épure du film sur le plan narratif saute au yeux, surtout en comparaison avec la profusion des franchises depuis les années 2000 et le développement d’univers. Ici très peu d’informations sont données sur le lore, à peine de quoi avoir un cadre qui permette de comprendre les enjeux, et de nous fasciner dès la visite de ce vaisseau extraterrestre avec les designs techno-organiques fous et uniques de Giger, l’exploration allant jusqu’à découvrir le corps momifié d’un géant venu d’ailleurs. Tout comme pour le monstre que l’on est venu voir, Scott opte pour la suggestion.
Pour accentuer la menace qui pèse sur nos ouvriers de l’espace, il va multiplier les thèmes sous-jacents qui participent de la fragilisation des personnages. Tout d’abord avec le poids d’un capitalisme déshumanisé, qui privilégie la recherche de formes de vie extraterrestres à la survie de l’équipage en confiant les décisions d’ordre scientifique à un robot de la compagnie et en limitant l’aide que l’I.A. du vaisseau (Mother) peut apporter à ses occupants. Les choix sont donc des plus limités, et même contredits (Ash autorisant le retour de Kane plutôt que de le laisser en quarantaine comme le préconise Ripley). Ensuite en faisant appel à des ressorts inconscients plus troubles: le cycle de vie de la créature semble inéluctable, et convoque des phénomènes organiques familiers avec la gestation (l’oeuf), l’accouplement (le facehugger, la mort de Lambert avec la queue de l’Alien qui lui passe entre les jambes), l’accouchement (le Chestbuster sortant de Kane), renforcés par l’atmosphère sonore qui ronronne tout au long du film, une sorte de battement de coeur qui nous fait nous sentir à l’intérieur du ventre de l’infanticide Mother. Infantilisation, fécondité, viol, autant d’éléments qui concourent à faire des protagonistes des proies fragiles et des spectateurs le receptacle d’une horreur plus psychologique que graphique.
Ensuite on constate qu’il s’agit d’un objet éminemment plastique: chaque plan est une composition soignée qui se nourrit des décors du Nostromo alternant les couloirs et entrepôts sombres, crasseux, humides, avec les quartiers de l’équipage (réfectoire, laboratoire, Mother) d’un blanc immaculé au design moderne. La caméra de Ridley Scott s’applique à capturer les textures et les perspectives de cet environnement à la fois industriel et futuriste, plongeant le spectateur dans une claustrophobie digne d’un sous-marin, hostile, froid, que le Xénomorphe saura s’approprier bien mieux que les humains en empruntant des chemins de traverse et se camouflant dans l’obscurité froide de cet engin métallique.
Le sentiment de terreur se diffuse donc moins par le gore et les rares jumpscares que par une tension permanente, un malaise inconscient et une atmosphère claustrophobique. Une maîtrise totale qui fait de ce film un des tout meilleurs de Ridley Scott.
Alien est à mon sens un film de rupture, en ouvrant la voie à un cinéma plus viscéral sur les terres de la Science-Fiction teintée d’horreur grâce au succès public de son film (rappelons qu’Alien a engrangé 17 fois son budget au box-office en atteignant quasiment les 190 millions de dollars dans le monde pour un budget inférieur à 11 millions), là où les films de Cronenberg, occupant déjà ce créneau (Frissons, 1975; Rage!, 1977; Chromosome 3, 1979) n’étaient que des succès d’estime.
Il ressuscite donc ce sous-genre quelque peu délaissé (en vigueur surtout dans les années 50-60 avec les films d’invasion martiennes), à peine exploité dans les années 70 (L’invasion des profanateurs de sépultures, 1978) , la Science-Fiction s’illustrant surtout dans la dystopie (Orange Mécanique, THX 1138, Soleil Vert, Mondwest, Rollerball, etc) et prépare le terrain des années 80 où le futur va s’exprimer dans une noirceur et une violence nouvelles (Scanners, Outland, The Thing, Blade Runner, Vidéodrome, Terminator, Aliens le retour, La Mouche, Predator, Robobcop, etc), entérinant l’androïde comme une figure cristallisant de nouvelles angoisses.
Claque visuelle, nouveau jalon de la SF et de l’horreur, création d’un monstre iconique et d’un personnage féminin fort à qui Cameron doit sans doute beaucoup, Alien est un chef-d'œuvre du cinéma, un objet de fascination graphique qui n’a pas pris une ride.