Après sa révélation par le complexe et intriguant Margin Call (2012), J.C. Chandor change du tout au tout avec un survival marin d’une inventivité quasi nulle. Si Robert Redford excède dans l’unique rôle d’un naufragé allant vers sa triste perte, il ne parvient pas à relever le niveau de cette piteuse aventure plus ennuyeuse qu’immersive.

All Is Lost souffre à l’évidence de multiples comparaisons avec le chef d’œuvre d’Alfonso Cuaron encore tout frais dans notre esprit. Car d’un point de vue scénaristique, le film de Chandor en est très proche : le bateau à voiles d’un navigateur heurte un conteneur, sa coque se brise, et l’homme n’a plus qu’à dériver sur l’océan indien parcouru de tempêtes violentes et menaçantes. Là où Cuaron innovait sa mise en scène dans l’univers spatial (et encore, rappelons que Gravity a été tourné dans un petit cube d’un mètre carré), Chandor pose une caméra sur le bateau du naufragé, une autre sur un bateau que l’on suppose voisin, et alterne mécaniquement ses prises de vues, sans magnifier ni alourdir la catastrophe. Le souci de réalisme est le principal problème d’All Is Lost : l’aventure nous est montrée frontalement, sans arrière pensée propre au cinéaste, sans intéressant parti pris esthétique défini. Bien que la performance de Redford soit plus qu’acceptable, le personnage demeure antipathique de la première à la dernière image. Signalons ce premier plan d’un ridicule encore rarement vu dans un survival classique (c’est d’ailleurs le seul moment où Chandor sort de la piste toute tracée !) : un panoramique de plus d’une minute (référence au premier plan séquence de Gravity ?) avec la voix off du sexagénaire se lamentant et annonçant le bout du rouleau. Non que cette voix off ne soit pas la bienvenue dans un tel survival académique, mais ne l’utilisant que dans cette première minute, elle devient hautement ridicule et parasite pour la suite du voyage.

Car Chandor opte ensuite pour une aventure résolument muette, au seul son des actions de Redford et de la mer environnante. Ce procédé pourrait être efficace si l’effet de réalisme était maintenu, et non gâché par cette abus de découpage dans tous les sens nous faisant parfois penser à une bande dessinée, et conséquemment à une fiction totale. Que veut nous transmettre Chandor ? La peur, la tristesse, l’attente de la mort ? Son film a le mérite de ne pas appliquer d’émotions explicites, mais par cette même idée se retourne contre lui même, nous donnant à vivre non pas une terrifiante expérience marine, mais bien un triste moment de cinéma avec une exploitation à 10% du cadre, un développement prévisible et gonflant menant à une trop grande distanciation. Il n’est pas nécessaire de parler de cette pauvre fin inutile, nous rappelant justement que nous sommes dans une salle de cinéma, devant un film américain, et non dans l’océan indien. Réalisme ou attraction ? Ni l’un ni l’autre. Aussitôt vu, aussitôt oublié.
Forrest
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le 26 déc. 2013

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