Le sujet m'a longtemps freiné, mais j'y suis finalement allé pour la consanguinité que ce film entretient avec le cinéma de Rémi Chayé. C'est que ça avait l'air beau, tout de même... Or, beau, ce film l'était bien.

C'est pour moi l'indéniable qualité de cette Metaphysique des tubes, du début jusqu'à la fin. On s'en fout plein les mirettes. Compositions, couleurs, c'est un festival de tous les instants. Pour cela, oui, le film vaut son déplacement...


Mais reste cependant dans l'équation son fameux sujet...

Cet éléphant dans le magasin de porcelaine nippone.

Amélie...


Je le précise d'emblée : je n'ai jamais vraiment pris la peine de lire du Amélie Nothomb. J'entends par là que je ne m'y suis jamais penché sérieusement. J'ai déjà feuilleté quelques pages ici ou là, dans les bibliothèques de mes contemporains, et j'avoue que – couplé à ce que peut être le personnage mondain – je ne suis pas fan. Je n'accroche pas. Je ne parviens pas à m'oter cette image d'un art quelconque au service du moi qu'on ne rend attractif qu'en le surjouant. Et quand bien je garde à l'esprit qu'il ne s'agit-là que d'un a priori qui n'est fondé que sur peu de choses – et auquel il ne faudrait donc accorder que peu de crédit – que, malgré tout, c'est bien cette Amélie-là qui est venue me pourrir progressivement le film, au point quasiment de totalement le neutraliser sur sa fin.

(Donc qu'elle soit factice ou pas, cette Amélie-là, j'avoue, je lui en veux un peu.)


Pourtant, au départ, moi j'étais vraiment bien dedans.

Le dispositif formel fonctionnait bien. Il me séduisait. Et le récit, bien qu'il me titillait un brin – prendre le parti d'un narrateur en voix off qui se perçoit comme Dieu sur Terre, avouons

que c'est là me chercher un peu – avait le mérite d'une certaine perspicacité. Car adopter le point de vue du nouveau-né, c'est à la fois jouer du regard candide comme celui du regard égocentré. Ça justifie les partis pris visuels. Ça ouvre la voie à une certaine fantasmagorie. Et encore une fois, la mise-en-scène est vraiment maîtrisée, foisonnante, généreuse...

Bref, je trouvais que ça marchait.


Mais plus le film avance et plus le poids du melon d'Amélie pèse. Ce qui s'ouvre sur une fable universelle se referme petit à petit – et inexorablement – sur les préoccupations nombrilistes de l'Amélie autrice.

Parce qu'on était légèrement en droit de s'imaginer que la fable allait prendre de l'ampleur, qu'elle allait confronter l'égocentrisme infantile à la maturité du monde adulte, et surtout qu'elle allait remettre un peu tout ce petit monde en perspectives : les gens, les pays, les choses...

...Mais finalement non.

Le centre des attentions va rester le petit nombril de Dieu-enfant sur Terre. Au bout du compte, tout se résout lorsque la boniche d'Amélie redevient sa boniche (parce que c'est bien de cela dont il est question hein) ; de même, papa et maman sont toujours à ses pieds donc c'est parfait. Et – attention, immense révélation finale en guise de spoiler – ...

(« ah et au fait ! Je ne suis pas Dieu ! Hi hi hi ! »

(Mais quelle conclusion de merde, franchement...)

C'est vraiment le genre de fin qui fait pschitt...


Comme tout un symbole, j'ai l'impression que ce film a refusé de grandir. Il est resté enfant, dans sa bulle, avec son ego. Et c'est dommage parce que je trouve que ça laisse de côté, à l'état d'excroissance tubéreuse, des personnages et des thématiques pourtant vachement prometteurs. Les rapports entre deux ex-puissances coloniales ; entre deux façons différentes d'exprimer son statut de dominant ; entre deux facettes de la bourgeoisie en somme...

Mais non, on se contente – presque au prétexte d'un film pour enfant – à un film terriblement enfantin, pour ne pas dire infantile.


C'est en cela que, cette deuxième moitié de film, je l'ai vraiment vécue comme une sorte de rappel au gros melon au milieu du petit nombril d'Amélie.

Le petit enfant amusant, espiègle et s'érigeant comme une divinité sur Terre qui ne grandira jamais. Il restera bébé Cadum, surjouant son égocentrisme par l'appel au divin, réfutant au dernier moment le divin mais sans jamais renier l'infantilisme, le nombrilisme, la fascination d'une extraordinarité qui n'existe que pour soi et qu'on surjoue pour la légitimer.

De l'Amélie Nothomb en somme.

De la bourgeoisie, serait-on tenté de compléter...


Et ça me fait franchement bien chier qu'un si bel écrin soit finalement mis au service d'un sujet incapable de se recentrer par essence.

Parce qu'au lieu d'un fabuleux conte sachant livrer de belles vérités universelles, cette Metaphysique des tubes aura fini par s'entuyauter dans l'entonnoir des préoccupations particulières de l'autrice native de Bruxelles.

Car, voyez-vous, si on nous a raconté tout ça, c'était pour fixer les souvenirs de la bonne Amélie. Madame n'étant pas n'importe qui – et puisque madame a été touchée par certaines choses et certaines gens dans la vie – alors il était logique de mobiliser toute une industrie au service de cette noble cause.


L'air de rien, voilà qui dit beaucoup de l'état du monde d'aujourd'hui..

Du beau gâchis, moi je dis...

Créée

le 25 juil. 2025

Modifiée

le 25 juil. 2025

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