Le Maître de guerre devient le maître de la réalisation...

"Je vais te mettre la bite en copeaux et te faire bouffer des rillettes de couilles"
Comme cette citation hautement poétique, tirée du film le Maître de guerre et énoncée d'une voix sèche et virile par Clint Eastwood lui-même, commence à dater !
Il faut dire qu'il en fait du chemin depuis, Clint. Il est devenu réalisateur a offert au public des films d'une grande sensibilité et souvent très justes, montrant ainsi toute sa finesse au-delà des apparences plus martiales de ses films.
Comme la vision des conflits et la présentation des "meuurin's" a évolué aussi, passant d'un manichéisme assumé (le maître de guerre est loin d'être le seul film de guerre bourrin) à davantage de relativisme.

Dans American sniper, toute la subtilité du vénérable réalisateur se trouve exprimée. Si l'on s'arrête à la façade, c'est du Capt'ain America tout craché, le héros américain dans toute sa splendeur : il est fort, il est beau, il sent bon le sable chaud... et il tue des brochettes de "méchants" sans état d'âme. Normal, ils sont méchants et il est le gentil. D'ailleurs, les gentils portent de superbes uniformes lors des cérémonies funéraires, il pratiquent la chasse avec leurs enfants dès le plus jeune âge de ces derniers, véhiculant ainsi des valeurs américaines inscrites dans la Constitution depuis la conquête de l'ouest. En plus, si l'on est atteint de myopie, on reconnaît les méchants à leurs vêtements hétéroclites et à leur équipement composé d'éléments disparates. Si on est moitié aveugle, on peut reconnaître les super-méchants à leur manque de compétences techniques. Non, un perceuse, ce n'est pas l'outil adéquat pour soigner un enfant.
Mais ça, c'est si on s'arrête à la surface des images. Si l'on décide de regarder un peu plus loin, on peut percevoir les questionnements sous-jacents à diverses reprises dans le film (attention spoilers) :
-les femmes et les enfants sont aussi des adversaires potentiels quand on a affaire à un ennemi qui ne partage pas du tout votre philosophie (le Vietnam, évoqué à un moment, était un sorte de prélude à la participation des "non-combattants" au conflit) et ça bouleverse un peu les gentils qui n'ont pas intégré cette donnée dans leur logiciel ;
-l'américain des grands espaces et des états "ruraux" (le Texas dans notre exemple) n'est pas forcément un modèle de réflexion et d'auto-critique, que ce soit vis-à-vis de lui-même ou de la nation) ;
-certains soldats se demandent si ce qu'ils sont venus faire dans ce pays en guerre est justifié et justifiable ;
-la mère d'un soldat tué interroge, lors d'une lecture à l'enterrement de son fils, le sens de la croisade menée par les Etats-Unis : quand est-elle "justifiée" et quand devient-elle une croisade idéologique qui s'alimente elle-même ? Une des questions les plus fortes et les plus essentielles dans le film à mon avis : interventionnisme ou non ? La réponse reste ouverte, sachant que les intérêts économiques et stratégiques américains dispersés à travers le monde entier poussent ces derniers à l'intervention (la famille Bush en Irak par exemple).
(fin des spoilers)

Clint Eastwood propose à mon avis une vision relativement progressiste de sa société. A propos des femmes par exemple : on voit des soldats féminins lors des briefings des officiers (ça a longtemps été oublié), on voit la place de la femme du soldat, plus active dans ses revendications (même si elle attend à la maison en élevant les gosses) que la mère de celui-ci en son temps. Oui, certaines choses ne changent pas, comme le patriotisme américain exacerbé par la chute des Twin towers ou l'assassinat du héros qui mobilise les foules sur le passage de son cortège funèbre. Oui, les américains se voient encore comme les maître uniques du monde mais leurs interventionnisme montre ses limites. On voit clairement que la violence perpétrée à l'encontre de ces populations ne fait qu'exacerber la rancœur voire la haine à l'égard des représentants du drapeau étoilé.

Les images sont souvent dures et la tension palpable et je ne me suis pas ennuyé une seconde, totalement happé dans le récit. La réalisation est soignée et l'action vraiment claire. Je me suis souvent pris "en pleine gueule" pas mal d'images fortes mais le tout est d'une efficacité redoutable... jusqu'à la fin, avec des images d'archive semble t-il. Bon ce n'est pas ce qui m'a le plus plu. Le générique silencieux m'est apparu autrement plus puissant, laissant encore un doute sur les intentions du réalisateur.

Pour qui a suivi la carrière de Clint Eastwood derrière la caméra et s'intéresse à l'actualité au Moyen-orient, il y a matière a trouver bien des nuances dans ce film. Cependant, comme il montre aussi le côté héroïque des soldats américains, d'aucuns pourront imaginer avoir vu un film manichéen.
Je pense que c'est tout le contraire.
Et c'est tout l'art de ce talentueux et très expérimenté réalisateur.
Apostille
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le 22 févr. 2015

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Apostille

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