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Drame chez les bourgeois ! Le père est passé par la fenêtre du chalet et s’est éclaté la tronche par terre. C’est donc avec du sang dans la neige que débute alors le procès de sa femme, soupçonnée de l’avoir poussé. Un procès qui sera l’occasion de se plonger au cœur de ce couple un peu chiant, et de détailler leurs relations intimes dont on a pas grand-chose à foutre. Grâce à une mise en scène plutôt élégante dans son minimalisme, et servi par un montage habile qui a le bon goût de nous mettre tout ça dans un ordre logique pour qu’on n’ait pas à se prendre la tête pour suivre cette affaire, Anatomie d’une chute est un film assez plaisant à subir. Le couple a un enfant aveugle, une astuce pour nous arracher un peu d’empathie histoire de tempérer légèrement notre je-m’en-tapisme des problèmes de rambarde trop basse, enfant qui apprend bien sûr le piano, répétant un morceau avec de plus en plus d’assurance, nouvelle astuce, plutôt maline celle-ci, pour nous donner l’idée du temps qui passe, au cas où on trouverait que tout ça va trop vite.

La dissection du couple et de ses problèmes distrait un temps le spectateur qui veut surtout savoir quelle sera la décision de la cour. Un peu comme lorsqu’on regarde Question pour un champion, on se fout complètement des questions parce qu’en fait, on veut juste savoir qui va gagner le 4 à la suite, Martine ou Jean-Marc ? On serait prêt à vendre un rein pour le savoir, même si, la victoire de Martine à peine célébrée, on est déjà passé à autre chose et tout se perd en quelques instants dans les limbes de l’oubli à tel point qu’on pourrait presque douter que la mine réjouie de Martine ait jamais vraiment existé. Bref, en absence de preuve tangible, et sans les aveux de la principale suspecte, le doute privilégiant à l’accusée, cette affaire était de toute façon pliée. C’est qu’après avoir vu les 23 saisons de Faites entrer l’accusé, on est tous un peu spécialistes du droit français. Et c’est pas ce super épisode du Juge Garonne et de son tribunal qui nous va nous la faire à l’envers. Et puis, au moment où j’allais décrocher, le film dynamite le train train un peu trop confortable de son récit et bouscule le spectateur en faisant intervenir Snoop, le chien de la famille, dans une séquence absolument fascinante de méchanceté gratuite et d’étrangeté cheulou ! Le cabot, au sol, agonise, la langue pendante dans une bave d'écume, haletant difficilement pendant que le petit enfant bredouille une explication fumeuse pour justifier sa démarche de psychopathe. Personnellement, j’en étais alors à le soupçonner… l’enfant, pas le chien, quoiqu’à aucun moment son alibi ne soit discuté, et j’avoue que j’aurais pas été contre l'idée que le corniaud soit appelé à la barre, rigolez pas, les gens qui ont appris l’histoire de la justice en France grâce à Hondelatte savent qu’il y a des précédents ! Bref, nous sommes donc au cœur du climax du film, tournant autour de l’enregistrement d’une dispute, pièce à conviction qui finalement ne veut pas vraiment dire grand-chose car, bien sûr, comme nous l’avons vu tout au cours du procès, les fragments accumulés de l’histoire du couple ne peuvent former une quelconque vérité. Anatomie d’une chute n’est pas 12 Hommes en colère, il ne s’agit pas de suivre un raisonnement brillant menant à la vérité, mais plutôt d’en déconstruire les tentatives. Devant le désarrois du gamin, qui se débat avec ses souvenirs, frustré de ne pas pouvoir savoir si sa mère est une grosse méchante ou une pauvre victime, sa tutrice judiciaire va lui expliquer que parfois, il faut balayer le doute et se forger une conviction. Il faut soi-même décider de ce que sera sa propre vérité. Le gamin reviendra alors, à la toute fin du procès, avec un nouveau témoignage, renforçant l’idée du suicide et innocentant sa mère... qui n’aurait vraisemblablement pas pu être condamnée de toute façon... mais passons. Le doute qu'on éprouvait à propos de la daronne glisse alors sur les épaules du gamin et de son témoignage que la mise en scène du film nous présente comme fantaisiste, le gamin mettant littéralement les mots dans la bouche de son père. Littéralement, ça se discute, mais vous avez vu le film vous voyez de quoi je parle.

Mon souci, là dedans, c'est que comme je m'en foutais déjà un peu de la mère, de ses problèmes à la con et de son mec encore plus pénible, n'existant qu'à travers des flash backs peu glorieux… je n’ai guère été convaincu par le dénouement de ce pastis. Anatomie d’une chute a cependant des qualités évidentes, notamment celui d’avoir des dialogues bien écrits, et servis par des acteurs convaincants : Le procureur a un museau bien pointu, signe de grande méchanceté, l’avocat a lui les cheveux longs comme il faut, afin de symboliser son exaltation amoureuse, la juge a l’amabilité d’une dame de cantine fatiguée de distribuer des assiettes de saucisse purée et le gamin, aveuglé par des lentilles rigolotes est plutôt convaincant. Dominant ce casting, il y a bien sûr Sandra Hüller, qui est absolument brillante… même si elle se fait un peu voler la vedette par le chien, chaque fois qu’il apparaît à l’écran.

Mais voila, tous ces personnages au mieux antipathiques, au pire transparents (sauf le chien donc), me sont apparus comme des marionnettes s’agitant vainement dans un tribunal en carton pâte, tricotant un texte plaisant mais à mes yeux sans grand intérêt. J’ai passé un très bon moment, mais j’en avais rien à foutre. Je suis cependant persuadé qu’un remake du film par Hondelatte serait une excellente idée (surtout si le célèbre animateur pouvait imiter la meuf parler anglais avec un accent allemand absolument scandaleux). Je repensais ainsi à l’histoire de cet avion qui s’était posé en catastrophe sur l’Hudson, et à quel point le film de Clint Eastwood se faisait défoncer, dramaturgiquement parlant, par la version Danger dans le ciel de l’affaire. Parfois, la télé, c’est quand même mieux que le cinéma.

MelvinZed
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le 13 janv. 2024

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Melvin Zed

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