Angélique
3.9
Angélique

Film de Ariel Zeitoun (2013)

Un coup de génie, c'est bien ce qu'il faut pour aller voir Angélique, éclair de beauté dans l'océan cinématographique un brin ascétique de ce mois de décembre: hier il y avait The Immigrant, variation (trop) en retenue sur le thème de la madone martyr, et aujourd'hui il y a Angélique, son antagoniste excentrique et extraverti, son Professeur Moriarty du pauvre, venu s'exhiber en exclusivité (espérons-le) sur les écrans français.


Tout commence à la lumière divine d'un souvenir d'enfance, un bas délicatement retroussé sur la cheville de Nora Arzeneder. Angélique enfile sa plus jolie robe, attise la convoitise des hommes. "Que votre fille est belle!" dit l'un deux. "Ce sont sans doute les robes offertes par Monsieur le Comte de Peyrac qui la magnifient!" réplique passionnément son père. "Oh, ce ne sont que des apparats, mettez une bouse dans une jolie robe, elle restera néanmoins une bouse!"


TIENS DONC, C'EST DE BOUSE QU'IL EST QUESTION AVANT MÊME LE GÉNÉRIQUE.


Les plus mauvaises langues diront qu'un film qui se roule ouvertement dans la fange dès sa première scène essaie dramatiquement de désamorcer son manque de substance, d'attirer l'attention en dessous de la ceinture pour l'éloigner du cortex cérébral. Mais même pas, non: ce dialogue est en fait un cryptogramme, une cohésion parfaite du fond et de la forme. OUI, ANGÉLIQUE EST UNE BOUSE. Sauf que sa robe n'est même pas jolie, non, Angélique se trimbale en guenilles, pouilleuse des pouilleuses. A côté, Le Jeux de l'Amour et du Hasard dans l'esquive, c'est du Kubrick, c'est Barry Lyndon puissance huit.


Y'A DES INSERTS DE CHASSE, PÊCHE ET TRADITION QUOI. DES INSERTS MÊME PAS EN HD HISTOIRE DE SURTOUT PAS LES RATER.


Y'a aussi des survols de châteaux sortis des archives de France 3, on se croirait dans Des Racines et Des Ailes. Les décors sont par ailleurs tellement pauvres qu'en-deçà de dix figurants, on dirait du théâtre subventionné, et au-delà, on dirait le Puy Du Fou. La peste ou le choléra, en somme; et en musique, histoire de ne pas souffrir que de la rétine: omniprésente et hors sujet 90% du temps (les 10% restants, ce sont les scènes silencieuses), elle vient relever le film de la subtilité qui lui manquait. Parce que le scénario, c'est de l'or en barre, la touche de foie gras sur le marbré; et si, parce qu'Angélique est une adaptation, certains voudraient l'ériger en bastion cinématographique inattaquable, en dernier rempart entre Ariel Zeitoun et la maladie mentale, je me révolte contre tant de mauvaise foi. Il y a des livres qui ne devraient jamais quitter les étagères.


Ainsi, Angélique, Marquise du Poitou (c'est moins classe que MARQUISE DES ANGES T'AS VU) bouge son royal postérieur jusqu'à Toulouse pour épouser Joffrey de Peyrac, à qui elle a grosso modo été vendue. Comme Angélique est une battante, elle s'offusque, fait la moue mauvaise, entreprend même d'expliquer à son futur époux que non, elle ne veut pas d'un estropié balafré pour mari, mais elle se laisse néanmoins convaincre par l'argumentaire de ce dernier, qui pourrait se résumer par: "Marions nous maintenant, et discutons après." OK. Après coup, évidemment, elle est confuse, même si Joffrey est un homme compréhensif, elle est mariée, et ça, elle l'avait pas vu venir. Notons que si son âme de féministe avant l'heure la pousse à se marier en pantalon (WOUHOU), elle ne va par contre pas l'empêcher de faire l'apologie des unions arrangées et de l'Ancien Régime dans toute sa beauté.


Si encore il n'y avait que ça, une vague comédie de remariage, une découverte du bonheur conjugual dans les bras d'un homme peu attirant, façon La Passe Dangereuse de Maugham, Angélique serait resté une boutade anodine dans le paysage cinématographique française. MAIS NON. Angélique est une héroïne. A douze ans, elle a sauvé le roi d'un complot improbable à la force de ses bras de dindon ! Question de suspense, Angélique avait bien sûr profondément refoulé cet épisode victorieux, et du coup, elle est aussi surprise que le spectateur de voir que l'affaire refait surface dix ans après comme si le temps s'était suspendu: les comploteurs réapparaissent pour la mettre mauvaise à Angélique, et accessoirement pour déposséder Joffrey De Peyrac de sa fortune, conduisant à une extraordinaire intrigue royale à base de monte-charge, EXALTANT JE VOUS DIS. Ajoutez à ça un cousin germain très penché sur la chose incestueuse et un ancien amant devenu mendiant à la cour des miracles, des scènes d'action extraordinaires et des rebondissements inattendus, et vous obtenez à peu de chose près l'équivalent de Spartacus dans la France de Louis XIV, le sexe et le sang - bref, l'intérêt, en moins.


L'affaire n'en est pas moins passionnante. Angélique se taule tellement à tous les étages de la création cinématographique que le film en ressort aussi hypnotique que deux heures de vidéo gag à plein régime. Il partage d'ailleurs avec un autre navet surréaliste, Cinéman, le fait d'être presque intégralement doublé, et mal. Tout mon amour au directeur de casting qui a choisi le doubleur du Chat Potté pour faire la voix de Mazarin, il mérite une médaille et une aide à la re-insertion professionnelle, parce que je ne pense pas qu'il retrouvera du travail de sitôt. Voir Gérard Lanvin, Mathieu Kassovitz, Tomer Sisley, et, au sommet, David Kross, se fourvoyer dans un étron de cette envergure a au moins le mérite de souligner le grand mal du cinéma français: le droit à l'erreur. Parce qu'une fois, Ariel, passe encore. Deux aussi. Mais cet Angélique, il vaut pour dix erreurs en une, et sa seule vision justifierait presque l'annihilation de la France dans une catastrophe nucléaire.


Mais que je sois honnête: Angélique m'a fait prendre une très bonne résolution. Celle d'empoigner ma carte illimité chaque fois que je passe à proximité d'un cinéma afin d'en gonfler artificiellement les chiffres, parce que s'il y a bien une chose que je ne veux pas rater en 2015, c'est Angélique: Partie 2.

ClémentRL
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le 20 déc. 2013

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