Avé l'accent d'une pagnolade.
- Trois pastis, comme d'habitude.
- Bon, on la fait cette critique ?
- Boudi, il est super le film qu'elle a fait la pitchoune. Comme toujours, on sait plus grâce à qui : la réal, la photo, le montage, les acteurs...
- Par contre, moi, j'ai pas tout compris, tu crois qu'y vont faire un doublage en Lyonnais ?
- Moi, je trouve qu'il y a des boulettes.
- Tu dis ça parce que c'est un film de gonzesse.
- Oui, c'est un film de gonzesse ! Et puis, c'est ouoque, y'a un homo.
- Oui mais t'as vu, les autres mecs, y savent qu'il est homo et ils le saquent pas. Comme quoi, y sont tolérants.
- Déjà qu'y acceptent une Beurette !
- Oui, mais c'est en ça que les ouoques y sont malins ; ils prouvent qu'ils n'y a pas que les fachos qui sont durs avec les femmes. Même des mecs qui votent à gauche, tu vois, pour Defferre, pardon, je veux dire Mélenchon, ils peuvent être des violeurs. Pour être un violeur, bah, y suffit d'être un homme. Un qui tient sa canette bien dressée au niveau de la braguette, comme les manadiers.
- Un homme ? Oooh ! Avec moi, elles risquent rien !
- Tu risques pas non plus de t'en sortir une, une petite !
Rires, gorgées de pastis.
- La musique, elle m'a emballé ! Tellurique ! Tribale ! Quand je pense qu'ils ont fait ça à trois devant un ordi ! Ça se mélange avec le sound design nickel ! Y a pas une mélodie genre thème. D'ailleurs ça aurait fait tache. Enfin si, au géné de fin y a de la batterie. Jarre c'est fini!
- Ben de toute façon...
- Non, je voulais dire Maurice !
Pastis.
- Quand même, y sont forts à la mise en scène ! Faire jouer des amateurs, des mecs comme nous ! Les manadiers, ils ont accepté de passer pour des toxiques. En plus y font même pas ça pour rejouer la prochaine fois, parce qu'y en aura pas.
- Pas tous, regarde, le vieux là, Léonard, c'est ça, il est bourru mais c'est du bon pain. Pour une fois que la figure du père n'est pas un violeur ou un serial killer, moi qui ai des enfants, ça me fait plaisir.
- Et puis la photo, elle est géniale, le jour, la nuit, les marais, c'est naturiste.
Rires.
- Pardon , naturaliste.
- Y a pas mal de numérique quand même.
- Ah bon ?
- Ben, les couleurs vives, les super détails dans les plans drone zénithaux à la Villeneuve. Les cornes en amorce qui lui collent aux fesses. Les premier plans qui bougent alors que les seconds plans y bougent pas, ça, c'est possible à l'horizon mais pas tout près. Les bokehs, la caméra qui bouse, pardon, qui bouge. Les cigarettes allumées qui pètent, les pupilles qui se dilatent.
- Moi, j'ai rien vu.
- T'as eu raison, une fois qu'on a remarqué un truc, on doute de tout, des brouillards, même des taureaux. Enfin, c'est l'époque qui veut ça.
- Les taureaux...Y a un thème mythologique, le Minotaure.
- Ben, ça marche pas , un minot c'est un garçon, alors que là, ça serait plutôt une minette.
- Oui ! Y faudrait dire la Minettaure !
Rires.
- Donc, elle se transforme en vache ?
- Oui, ou en taureau, c'est pas précisé. Mais c'est bien amené, on voit une fois la queue, une fois les sabots, enfin les poils.
- Ah ! Y un plan gynéco, c'est dégueu. Y zauraient pu lui mettre un string.
- Naan ! C'est sa queue qui pousse. Et puis, t'imagine une vache en string ?
Gorgées de pastis, pour oublier.
- Et t'as compris, toi, la scène où ça la dégoûte qu'ils mangent du steak ?
- Oui ! C'est que depuis qu'ils l'ont, euh... malmenée, elle s'identifie aux bovidés.
- Ça veux dire qu'il y a une convergence entre la cause de femmes et la cause animale ?
- Oui pasque les ouoques y pensent que les hommes toxiques y mangent de la viande.
- Alors, les féministes, elles sont végétariennes ?
- Oui, et les vaches elles boivent du lait.
Pastis.
- La scène où elle se substitue au taurillon pour être marquée au fer rouge, c'est un peu trop...
- Non, c'est génial ! C'est à la fois psychanalytique, ça lui revient, et symbolique, ça représente le viol collectif. La corne qui sort du sol lors du drame, le fer rouge, je te fais pas un dessin. C'est habilement suggéré
- Aaah ! Parce qu'elle avait oublié ?
- Oui, elles ont dû faire le scénar alors qu'on parlait de soumission chimique dans la presse.
- Mais pourquoi, après, elle est vraiment brûlée, c'était pas une vision ?
- Là, on bascule dans le paranormal !
- De toute façon, on y va. Mais c'est pas ça. On est en terre chrétienne. Elle STIGMATISE ! Touchée au flanc, comme Jésus. Tu vois les références théologiques : elle est une sainte, le taureau est l'agneau sacrifié, les manadiers sont les légionnaires romains...
- Pute borgne ! Elles ont bossé, d'ailleurs y a des renforts scénar au générique.
Pastis.
- Je disais, le « taureau-garou » - geste des doigts pour les guillemets - c'est difficile à ruminer. D'ailleurs, quand elle en parle, le copain Tony, y se marre. Pour déminer : comme ça, le spectateur, il accepte mieux.
- Nan, c'est pour que Tony y soit prévenu. Comme cela quand y voit la bête y sait que c'est la fille. Tu vois, si ta femme te dit :
- Chéri, tu crois qu'on peut se transformer en canard colvert ?
Après, si tu croises un canard colvert dans ton salon, tu sais que c'est ta femme.
Silence méditatif, pastis.
- Pourtant, y ont mis le paquet sur les SFX.
- Justement, le sang, tout ça,... C'est pourtant pas un accident de voiture. Vu le pitch, il m'a manqué une poésie à la Cocteau.
- Il a pas fait la Résistance, Cocteau...
- Vrai, mais il aimait le Sud.
- Pourtant, c'est riche et beau. Un univers, un vrai sujet. Mais moi, j'aurais préféré un drame psychologique. C'est con ma remarque. C'est comme quand on te sert du rôti de bœuf et que tu voudrais un steak de cheval. Enfin, j'étais prévenu, c'est le retour du film de genre, qui est injustement négligé !
Pastis.
- Sinon, elle joue bien et elle est belle l'actrice, moi, elle me rappelle Jénifer Laurence.
- Y jouent tous bien et elle, c'est pas une cagette !
- Ben, faut en profiter pendant qu'elle est jeune ! Regarde la mère, tu verras la fille !
- Tu connais sa mère?
- Non, sa mère dans le film.
Pastis.
- Et tu comprends comment la fin, toi ?
- Lumineuse quoique de nuit. Les manadiers avec les fusils phalliques dressés représentent les gendarmes qui n'entendent pas la parole d'une femme abusée. Le seul qui la comprend, c'est Tony. Pasque les homos y sont pas violeurs et y souffrent aussi du patriarcat. C'est pour cela qu'y a la convergence féministes / LGBT plusse.
- Pour preuve, elle peut plus parler, c'est juste un grand cri.
- Cette fin, ça se termine un peu en queue de sardine ! Comment y vont gérer qu'ils ont tiré au fusil sur une nana qui s'tranforme en vache et qui tue des mecs ? En plus, elle à l'air contente. C'est la ravie de la crèche ?
- On verra, y vont p'têt faire Animale 2 !
- Attend, j'ai un appel
Les deux autres boivent.
- Mauvaise nouvelle ?
- Nooon... C'est la Région. Ils nous proposent de faire un stage de sensibilisation VHSS.
- Ça veut dire quoi VHSS ?
- Violences et harcèlements sexuel et sexistes... D'ailleurs, t'as pas vu, ? Ça apparaît au générique.
- C'est casse-couilles ! On discrimine pas les femmes, ni les Sudistes, ni les Beurettes, on caricaturait la masculinité toxique méditerranéenne !
- Oui, c'est bien connu – en chantant – "Les gens du Nord", ils sont pas comme ça !
- Ni les Parisiens comme nous ! D'ailleurs on a rien inventé, tout ce qu'on a dit, on l'a vu dans le film, entendu dans la vraie vie, voire lu dans Sens Critique.
- Sur ce, on pourrait le faire, ce stage, comme cela on sera labellisés. C'est utile pour obtenir les subventions.
- Oui, parce que cette année, on l'a eu dans l'cul.
Spritz.
- Bon, je vous ai fait une blague.
Les verres s'immobilisent.
- Y a pas eu d'appel, c'est comme le film, c'est une fable.
PS : le Mâle-Voyant culpabilise. Il galèje au détriment d'un bon p'tit film d'auteure de chez nous alors qu'il laisse passer d'énormes bouses de buffalos ricains. De plus, lui qui aime bien savoir ce que pense l'auteur(e), là, il est servi. Car ce film est une allégorie sociologique. Après tout, Brecht a fait la même chose.