En 2003, souvenez-vous, il était difficile de ne pas trouver son bonheur en salles : Le Seigneur des anneaux : le retour du Roi, Le Monde de Némo, La Cité de Dieu, la ressortie du Château dans le ciel... La liste est longue. Y en avait pour tout le monde, toute la famille, du cinéphile en couches au briscard blasé. Des daubes, on y a eu droit aussi mais on avait de quoi les oublier. Parmi tous ces coups de génie, deux artistes ont pourtant su se démarquer.


Deux films au cinéma, un jeu vidéo et même une BD. Impossible d'éviter Matrix en ce début de millénaire. Logique me direz-vous, le premier film comptant parmi ceux qui ont fermé le rideau sur le 20e siècle (combien d'entre nous l'ont vu et revu sur support VHS, avant l'avènement du DVD ?). Mais l'ampleur de la saga va plus loin qu'un coup marketing.


Matrix Reloaded, opus central de la trilogie, est aussi la base créative la plus féconde de la saga. Les questions laissées en suspens dans Reloaded, ses ellipses narratives, trouvent une raison d'être dans Animatrix. Vous vous demandiez ce qui a pu arriver à l'Osiris, le vaisseau qui a transmis un dernier message au sujet duquel Morpheus organise une réunion en début de métrage ? Vous voulez savoir d'où sort le Kid, ce gamin qui suit Néo comme son ombre à Zion ? Ou, plus simplement, vous voulez voir comment s'est déroulée cette fameuse guerre entre humains et machines "qui a assombri le ciel" et plongé l'humanité dans "le désert du réel" ? Tout est là, et sans didactisme, la forme de chaque court-métrage faisant de l'ombre à son voisin. Rassembler sous une même bannière autant de cinéastes, de styles différents, est déjà un beau pari. Les mettre sur des projets dont chacun forme un rouage de la même horloge, c'est risquer de mettre l'oeuvre entière péril, de mettre à mal sa logique esthétique et séamantique.


Non seulement la fluidité de l'ensemble ravit les sens par son aspect versatile, mais elle assure en plus à Animatrix un caractère intensément créatif car en perpétuel renouvellement. Mieux, il est impossible de réduire l'anthologie à un simple bonus de Reloaded. Les exemples cités plus haut relèvent de la narration pure. Mais certains courts-métrages tirent leur pitch de simples pistes philosophiques entendues au détour d'un dialogue. Ainsi va le génial Beyond, où une jeune-femme à la recherche de son chat perdu tombe sur une bicoque où des gosses s'amusent de ses lois physiques étranges. Dès que quelqu'un prétend avoir vu un monstre, un fantôme, c'est qu'un programme commence à faire une chose qu'il n'était pas censé faire, dit l'oracle à Néo lors de leur conversation. En voici l'illustration, manière de rappeler que dans la matrice même les croyances les plus folles peuvent être réduites à une ligne de code. L'image effrayante de parents remplacés par des agents sous les yeux d'un môme est d'ailleurs l'un des grands moments de Animatrix...


Pris séparément, les courts-métrages peuvent être perçus comme de purs exercices de style (certains, comme le Program de Kawajiri, en sont de brillants). Vus d'une traite, ils forment autant de portes dérobées sur l'univers-monde mis en place par les Wachowski. Si on les franchit, on y trouve l'onirisme d'une maison "hantée", le pragmatisme d'archivistes virtuels, l'acharnement d'un individu à dépasser ses limites physiques, le duel chevaleresque d'un entraînement à double fond, la quête d'un détective privé dans un noir & blanc anachronique... Sous contrôle en termes narratifs mais totalement libres en termes visuels, les segments de Animatrix forment un prodigieux complément transmédiatique à la trilogie. Et s'il est nécessaire d'avoir vu (avec attention) Matrix Reloaded pour apprécier pleinement le projet, nul besoin d'aimer ce second opus pour plonger dans Animatrix, monumentale oeuvre collective dont la diversité tonale continue de rassasier plus de dix ans après sa sortie.


Qui en 2003, hormis Kill Bill vol. 1, a marié autant de rythmes et de styles sans se brûler les ailes ?

Fritz_the_Cat
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleurs dessins animés pas vraiment pour les enfants

Créée

le 18 mars 2023

Modifiée

le 28 déc. 2014

Critique lue 2.7K fois

30 j'aime

11 commentaires

Fritz_the_Cat

Écrit par

Critique lue 2.7K fois

30
11

D'autres avis sur Animatrix

Animatrix
Fritz_the_Cat
8

Le Désert du réel

En 2003, souvenez-vous, il était difficile de ne pas trouver son bonheur en salles : Le Seigneur des anneaux : le retour du Roi, Le Monde de Némo, La Cité de Dieu, la ressortie du Château dans le...

le 18 mars 2023

30 j'aime

11

Animatrix
DoubleRaimbault
8

Animatrix est la touche qui manquait au mythe Matrix

Animatrix est la touche qui manquait au mythe Matrix. Il en est tout d'abord l'approfondissement, l'épaississement. Au travers de ces 9 courts-métrages sont apportées des réponses à certaines des...

le 20 août 2013

10 j'aime

1

Animatrix
Vernon79
10

La pilule, celle qu'est dure à avaler

En terminant cette succession de court-métrages, je me suis posé deux questions : Pourquoi ai-je attendu 15 ans pour regarder ce truc ?! Comment les Washovsky ont pu passer de Matrix à Jupiter...

le 17 sept. 2017

5 j'aime

8

Du même critique

Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Fritz_the_Cat
9

La Prochaine fois je viserai le coeur

Ca tient à si peu de choses, en fait. Un drap qui se soulève, le bruit de pieds nus qui claquent sur le sol, une mèche de cheveux égarée sur une serviette, un haut de pyjama qui traîne, un texto...

le 4 sept. 2022

222 j'aime

34

Lucy
Fritz_the_Cat
3

Le cinéma de Durendal, Besson, la vie

Critique tapée à chaud, j'ai pas forcément l'habitude, pardonnez le bazar. Mais à film vite fait, réponse expédiée. Personne n'est dupe, le marketing peut faire et défaire un film. Vaste fumisterie,...

le 9 août 2014

220 j'aime

97

Le Loup de Wall Street
Fritz_the_Cat
9

Freaks

Rendre attachants les êtres détestables, faire de gangsters ultra-violents des figures tragiques qui questionnent l'humain, cela a toujours été le credo de Martin Scorsese. Loin des rues de New-York,...

le 25 déc. 2013

216 j'aime

14