Éternel résistant à la macrocéphalie théâtrale contemporaine de metteurs en scène assoiffés de vidéos tulles, de surréalisme, de mise en abyme, et de l'imbécilité qui les pousse à ouvrir la porte du cinéma lorsqu'ils veulent faire du théâtre, c'est naturellement que je me suis tourné vers une énième adaptation du monolithe Tolstoïen, afin d'envoler mon noble petit cœur vers les blancs paysages de Russie impériale à l'écriture classique.

Et merde.

Bien que je n'aie toujours pas lu le livre — ce qui me permet de dire qu'il est meilleur —, le film sert les deux principaux axes : le dilemme tragique amoureux, par les acteurs et le déroulement, et la haute bourgeoise habillée de faux, de carcans sociaux codifiés, d'apparences, par les images et, mieux réussis, les costumes. Comme les personnages, on ne s'évade de cet univers de soie, de chapeaux de capitalistes, et de crinoline qu'à travers les blancs paysages de Sibérie ou les champs de blés où règnent la justice et le dévouement des paysans. Bien sûr, l'image de la faucille qui crève bien les yeux était évidemment nécessaire pour un film se passant en Russie, la bourgeoise fait des trucs pas bien mais le petit peuple il est gentil quand même ma parole.

Ces images, justement, sont servies par une sorte de mise en abyme dégoulinante dès le début. Sur une scène de théâtre à l'italienne, ornée de luminaires, des décors et fonds de scène très ballets-russes défilent sans qu'on ait vraiment le temps de les voir, mais la caméra-qui-tourne-trop-vite est visiblement une pandémie. Aucun rapport avec le fond, bien sûr, les personnages évoluent sur cette scène qui, de temps en temps, devient un décor réel ayant une cohérence. Du reste, des éléments typiques qui brisent l'illusion : le temps s'arrête alors que deux personnages dansent, les scènes de fusion charnelle sont toujours filmées de haut ; parfois ça fait sens, et ça se justifie peu à peu, mais ces velléités à la von Trier sont tout à fait disproportionnées, voire malsaines.

Le film nous fait mal, mais pas du tout au bon sens de terme, et n'a aucun rapport avec le cinéma, ni même, avec Tolstoï, bien que les acteurs portent très bien les personnages. Pour ne pas devenir grossier j'excepte les phrases que la volonté de l'auteur a voulues théâtralement exagérées.

Si ce truc était une pièce (Si Tolstoï était dramaturge ça se saurait), elle serait sûrement passée à mon indifférence, parce que ça aurait paru cohérent de passer une création aussi insipide, et si le film n'avait pas été adapté d'Anna Karénine, il m'aurait laissé la paix, parce que von Trier ou autres Godard auraient pu en faire un scénario original et le promouvoir avec leurs orgueils et préjugés. En même temps, pour du Godard, j'aurais bien vu Karénine par Karina.
Ashen
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le 11 déc. 2012

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