Un regard de porcelaine dans l’ombre de Conjuring


- Quel rapport entre cette poupée et un soi-disant démon ?
- Les démons se servent parfois d'objets comme intermédiaires pour atteindre leur but.
- "Leur but" ?
- Notre âme, John.
- C'est pourquoi, il s'en prend à Leah. Il veut son âme.
- Non, non, non. Les démons ne volent pas les âmes comme ça, Mia. Une âme doit être offerte au démon avant qu'il puisse la prendre.
- Je ne prévois pas d'offrir mon âme dans les jours qui viennent.
- Le diable est le père du mensonge. Les démons sont ses manipulateurs. Personne n'offre son âme à dessein.


Frissons garantis, mais terreur limitée


Annabelle, réalisé par John R. Leonetti et écrit par Gary Dauberman, se présente comme le préquel direct du monument horrifique de la décennie, Conjuring de James Wan. Un pari risqué tant l’œuvre originelle impose ses codes avec une maîtrise glaciale tel un modèle du cinéma d’horreur moderne. Et pourtant, malgré une certaine prudence qui le rend plus sage et parfois trop contenu, Annabelle s’extirpe doucement de l’ombre écrasante de son modèle. Le film trace sa propre voie avec une envie palpable et une efficacité qui n’a rien d’artificiel, même si sur le terrain du pur effroi, Annabelle reste nettement en dessous du modèle Wanien. Mais malgré ses limites, le film réussit à faire exister son propre cauchemar à travers un récit plus modeste, mais suffisamment hanté pour rester dans un coin de l’esprit. Se déroulant avant les événements de Conjuring en 1967, dans une banlieue de Santa Monica en Californie, le récit se concentre sur un jeune couple, Mia et John, incarnés par Annabelle Wallis et Ward Horton, dont le quotidien paisible est brutalement détruit après l’intrusion de deux membres d’une secte satanique. Une scène d’ouverture glaçante qui marque d’ailleurs l’un des grands moments du film de part son aspect particulièrement tendue à travers un double meurtre brutal chez les voisins, et l’origine de la malédiction de la poupée, qui bascule dans le paranormal au moment même où le sang de la tueuse coule sur son visage de porcelaine.


La véritable force du film repose sur ses personnages, étonnamment attachants et soigneusement écrits, bien loin des archétypes creux qui peuplent trop souvent le cinéma d’horreur. Annabelle prend le temps de faire exister son couple, de lui donner une intimité crédible, que l’arrivée prochaine d’un enfant rend encore plus touchante. Rien ne sonne faux entre Mia et John. Leur complicité se ressent, autant que leur inquiétude, et cette normalité chaleureuse ne fait que renforcer le malaise lorsque l’horreur vient s’y infiltrer. Une fissure insidieuse dans un foyer trop parfait. Annabelle Wallis (la comédienne, pas la poupée, restons concentrés) irradie littéralement l’écran. Elle porte l’émotion du récit avec force avec son regard à la fois puissant et vulnérable, qui capte autant la lumière que les ténèbres. J'avoue sans détour avoir eu un petit coup de foudre pour sa présence magnétique. Face à elle, Ward Horton compose un mari doux, attentionné, et sincèrement à l’écoute. Une figure masculine étonnamment positive dans un genre qui oublie parfois la nuance, et cela fait un bien fou. Le casting secondaire se montre tout aussi solide avec Alfre Woodard qui apporte au personnage d'Evelyn une chaleur teintée de tristesse via une humanité maternelle qui enveloppe chaque scène où elle apparaît. Quant à Tony Amendola, il campe un père Pérez crédible, touchant, loin du cliché du prêtre omniscient. Il flippe, doute, mais avance malgré tout. Une nuance qui rend le surnaturel d’autant plus palpable.


Soyons clairs, Annabelle ne rivalise jamais avec Conjuring. Il n’en atteint ni la puissance, ni l’intensité, ni la virtuosité. Mais il ne cherche pas non plus à le copier, et c’est tant mieux, car ça fait toute la différence. Là où James Wan privilégie la tension pure, John R. Leonetti opte pour un registre plus contenu, voir insidieux dans sa logique, faisant inévitablement penser à Insidious, une autre pièce d'horreur de James Wan, dont il reprend certains codes mais en mieux dosé. Les scènes d’horreur sont globalement sages, mais le film aligne tout de même plusieurs moments franchement efficaces comme la scène du sous-sol, dans l'ascenseur, où le démon avec sa silhouette difforme et terrifiante apparaît dans les ténèbres avant de foncer sur Mia pour finir dans les escaliers. La séquence des dessins d'un enfant mettant en scène la mort d'un bébé dans une poussette écrasée violemment par un camion à cause d'un camion est particulièrement stressante. Surtout qu'on finit par découvrir la scène "en vraie", mais fort heureusement le landau vide. En cela, on peut dire que c'est un hommage subtil aux classiques du genre. Et bien sûr, l’excellente scène d’ouverture, qui entre directement parmi les plus nerveuses du film. On doit une bonne partie de cette efficacité à la composition musicale frissonnante de Joseph Bishara, déjà à l’œuvre sur Conjuring et Insidious. Son travail musical mêlant notes dissonantes et chœurs démoniaques renforce l’atmosphère de menace constante et donne une véritable identité sonore au film.


Le dernier acte s’avère très honorable, notamment dans la manière dont il rappelle (voir instaure clairement) une règle fondamentale du Conjuring Universe, qui est que les démons ne peuvent prendre votre âme que si vous la donnez vous-même. Une idée perverse qui renforce la nature manipulatrice de l’entité derrière Annabelle. Le démon n’est pas qu'une brute démoniaque mais surtout un fin stratège. Le sacrifice final porté par l’émotion du personnage d’Evelyn, s’il ne surprendra pas tout le monde, reste touchant et cohérent avec l'ambiance globale du film, surtout, qu'il est à ce jour le seul film du Conjuring Universe à proposer une victoire totale pour l'entité. La poupée en elle-même, Annabelle, offre une présence perfide et obsédante qui persiste tout du long à l'écran. Un sentiment de malaise qui malheureusement ne parvient jamais à dépasser ce sentiment pour devenir véritablement effroyable, même si visuellement on peut lui accorder qu'elle a une sale gueule. Elle n'en demeure pas moins un jouet occultement célèbre grâce à la vraie Annabelle, une poupée en chiffon Raggedy Ann, aujourd’hui enfermée dans le musée occulte des démonologues Ed et Lorraine Warren.


CONCLUSION :


Annabelle de John R. Leonetti n’a rien d’un grand film d’horreur mais il a le mérite d’être un bon film, honnête, efficace et respectueux du matériau d’origine, ce qui, dans un univers aussi codifié que celui de Conjuring, n’a rien d’anodin. Alors, oui, Annabelle manque parfois d’audace car on sent que le film aurait pu aller plus loin et plus fort dans l’horreur pure. Mais malgré cette retenue, il reste bien joué, bien construit, et ponctué de quelques bonnes secousses d'horreur et d’un travail technique suffisamment solide pour y croire.


Annabelle, c'est une horreur plus simple mais non dépourvue de style.



Ne laissons pas la peur nous dominer. Nous ne sommes jamais seuls dans les pas du Seigneur. Plus nous en savons sur quelque chose, moins nous en avons peur. Il faut affronter ces peurs pour mieux les comprendre.
B_Jérémy
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il y a 5 jours

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