Anselm - Le bruit du temps
6.6
Anselm - Le bruit du temps

Documentaire de Wim Wenders (2023)

Après le grand couturier, après la chorégraphe, place maintenant au plasticien. Et là je dis : banco !


Carnet de notes sur vêtements et villes avait le mérite de montrer le créateur en action mais avec des moyens datés, accompagnés d’un discours un peu hors de propos sur l’image électronique remplaçant l’image argentique. Avec Pina, pas de problème d’image mais un souci de restitution de la personnalité de Pina à travers de lénifiants commentaires de ses interprètes.

Avec Anselm, tout le positif est réuni : moyens photographiques à tomber par terre (là aussi, la 3D était apparemment quelque chose), pas de commentaires parasites, enfin le créateur est là, en action, ouvrant ses portes à ses gigantesques ateliers, matérialisations dantesques de son monde intérieur. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça en envoie plein les mirettes. Là, l’argument habituel anti-art contemporain du type « ouais, super, mon gosse de huit ans ferait la même chose ! » n’est pas valable. Il faut voir ce type monter sur un monte-charge pour atteindre la partie supérieure d’une toile haute de dix mètres. Il faut le voir attaquer une autre au lance-flamme ou demandant à un de ses collaborateurs de verser à un endroit on ne sait quel liquide corrosif, avec à chaque fois le résultat étonnant d’une toile qui a utilisé le temps comme ingrédient à sa composition. Il faut le voir enfin envoyer à gros pinceaux des jets de peinture. Simple barbouillage ? Il suffit de voir la gigantesque toile dans son ensemble pour comprendre que si barbouillage il y a, c’est un barbouillage pensé, maîtrisé.


Enfin, il y a les sculptures et les créations architecturales. Hélas, la vision du maître en action se limite aux œuvres picturales, on ne verra pas Kiefer en train de modeler une de ses déesses de l’Antiquité sans tête (après, vu que le « modelage » fait partie de la création de ses toiles, on peut dire que ces dernières sont autant peintes que sculptées). Pas grave, la caméra de Wenders suppléera à cette déception en sublimant ces lieux, en les suspendant hors du temps et surtout en proposant au spectateur une visite méditative qu’il ne pourrait pas nécessairement connaître « en vrai ». Certes, son atelier de Barjac est ouvert au public depuis peu. Mais c’est uniquement en présence d’un guide, accompagné d’autres visiteurs, sans possibilité de flâner et de méditer. Ici, c’est d’une certaine manière Wenders qui fait office de guide, qui nous impose ses cadrages, ses angles de vue, mais au moins est-il un guide discret et habile dans sa capacité à rendre compte des beautés, à faire sentir ce temps suspendu. Et l’on frissonne à l’idée que ces quarante hectares sont autant un lieu de création qu’un lieu de vie à ce créateur démiurge. Bon sang ! S’imaginer… je ne sais pas moi, en train de prendre son bol de corn-flakes matinal ou en train de lire un bon bouquin au milieu d’un tel écrin, ça doit être quelque chose, ça doit vous développer des facultés hors du commun !


D’où sans doute l’absence de questions posées directement à Kiefer, comme pour ne pas troubler l’atmosphère du lieu et du documentaire. Et du coup, plutôt que de le faire parler sur son enfance, sur ses débuts, Wenders choisira de le représenter dans des scènes jouées soit par le propre fils de Kiefer, soit par son fils, Anton Wenders. Et même là, guère de voix off didactiques, juste la musique de Leonard Küßner (pas mal mais il y avait peut-être encore plus contemplatif à utiliser) et des chuchotis de voix féminines. Probablement celles des déesses de l’Antiquité sans tête, les muses personnelles de Kiefer dans son Olympe du Barjac, seul « bruit du temps » digne de troubler la quiétude atemporelle de l’endroit.

Créée

le 17 avr. 2024

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