Fin de règne

"C'est en faisant n'importe quoi qu'on devient n'importe qui" devrait être l'épitaphe du DC Extended Universe. Un énorme potentiel cinématographique gâché et profondément inégal pour de très nombreuses raisons qu'on pourrait synthétiser en une seule : Cet univers cinématographique n'a jamais su ce qu'il était. Sérieux et épique façon Snyder ? Purement fantaisiste et pulp comme Aquaman ? Pathétique, voire à la limite du nanar, comme le premier Suicide Squad ou Black Adam ? Avec des plans qui changeaient tous les deux mois, des reports incessants, des annulations à la pelle, croyez bien qu'être fan de l'univers DC a été plus douloureux encore que le visionnage des trois Spider-Man du MCU réunis, c'est dire.

Pourtant, dans cet océan (lol) de n'importe quoi étaient parvenues à se glisser des perles (lolx2). Outre bien sûr The Batman et Joker qui ne comptent pas puisqu'ils sont en dehors de cette continuité, on avait la trilogie de Zack Snyder, le Suicide Squad de James Gunn, et bien sûr l'Aquaman de James Wan. Un film tout aussi imparfait que le reste, mais qui avait pour lui beaucoup de qualités : Jason Momoa qui campait un Arthur Curry badass et extrêmement charismatique, dont la personnalité rock'n roll permettait de justifier les pointes d'humour puisqu'il était un peu comme un héros d'actionner des 80's; un personnage qui fonctionnait très bien en duo avec Mera, campée par Amber Heard et mes yeux ne remercieront jamais assez Snyder, un duo drôle, mignon, attachant, amené à vivre une grande aventure très généreuse, convoquant autant la fantasy que la SF, avec une grande variété de décors, de créatures, de couleurs, il y avait une vraie volonté de créer un monde, certes très peu développé et entièrement en CGI, mais qui allait un peu plus loin que la plupart des films de super-héros dont la mythologie est trop souvent un prétexte de fond et n'est jamais trop explorée.

Aquaman premier du nom, c'était fun, un peu bête mais très attachant, et ç'aurait été parfait pour une trilogie à part entière, qui n'allait probablement pas marquer en profondeur le genre super-héroïque mais aurait pu nous donner du bon divertissement sympathique.

Mais comme dirait l'autre, la vie la pute et maintenant on se retrouve avec Aquaman 2 après plus de deux ans de retard, un procès Depp-Heard ridiculement surmédiatisé et environ 6 ou 7 éternités de reshoots.

Oh je ne vais pas prétendre que je ne m'y attendais pas. On savait tous que ça allait être horrible.

Et le film nous donne très rapidement sa note d'intention puisqu'en moins de cinq minutes, il bazarde la présentation de son héros en esquivant avec l'habilité d'un véritable ninja toute velléité d'iconisation, nous refait une présentation en voix-off du premier film au cas où l'on aurait des déficiences mentales et fait une blague pipi, le tout sur fond de Born to Be Wild comme si les années 60 n'avaient pas déjà assez souffert. Je pense que Warner n'aurait pas pu nous envoyer de message plus clair à moins de montrer le logo du DCEU en train de se tirer une balle dans la tête.

Passée cette douloureuse étape, bienvenue dans film de super-héros lambda N°156. Vous connaissez la chanson, ça signifie des effets spéciaux moyens et des incrustations horribles nous rappelant sans cesse que les studios hollywoodiens confondent code du travail et esclavagisme lors de la post-production. Ce sont également des scènes d'action techniquement pas trop mauvaises, mais génériques et sans moment de bravoure particulièrement mémorable. C'est quand même un film où les héros doivent affronter une civilisation atlante des ténèbres de la mort qui tue, et on n'a même pas de scène de bataille comme dans le premier film !! Après, le rythme effréné et le montage atroce ne font que souligner une intrigue écrite et racontée comme si on avait enfermé toute l'équipe technique dans une prison nord-coréenne en guise de conditions de travail. Pour vous donner une idée de la catastrophe, les personnages n'apprennent les enjeux de l'histoire qu'au bout d'1h30 juste avant le climax, alors que c'est un élément qui est révélé dès la bande-annonce !! Si un jour j'apprends que ce film a justifié à lui tout seul la récente grève des scénaristes américains, je serais le dernier étonné. Évidemment les comédiens jouent aussi bien qu'on le peut dans cette machinerie en plein crash aérien, et dans le cas de Nicole Kidman dans les limites de ce que le botox permet d'expressions faciales.

Non je ne devrais pas me moquer, c'est trop méchant.

A chaque seconde, on voit que ce film a été charcuté. Rien que la place d'Amber Heard dans l'histoire est symbolique. Qu'on aime ou pas l'actrice, son personnage de Mera était central dans le premier film, on peut même dire qu'elle était l'autre personnage principal avec Arthur et un régal pour mes yeux. Ici, elle est à peine un personnage tertiaire, réduite au rôle de poule pondeuse et de deus ex machina facile. Elle n'a aucun moment d'intimité avec les autres personnages, elle n'a pas de présence réelle dans le récit. Plutôt que de justifier scénaristiquement son absence dans le récit, le choix a été fait d'en faire un pur fantôme sans qu'on en comprenne la raison. Messieurs les producteurs, mes yeux vous font des doigts.

Même geste adressé à la personne qui a complètement sabordé Black Manta. Black Manta, c'était l'un des meilleurs éléments du premier film. Un méchant à la motivation simple, mais dont la dramaturgie très forte arrivait à être posée en une seule scène. Son costume pouvait être un peu ridicule ? Pas grave, on le traite 100% au premier degré et on en fait une vraie menace pour le héros. Bref, ils avaient un boulevard pour le développer dans cette suite. Et ils n'en font rien. Pour vous dire l'incompétence, le crime le plus fameux de Manta dans les comics est d'avoir tué le fils encore nourrisson d'Arthur. Radical, mais ça pose bien le psychopathe qu'est le personnage dans son écrin d'origine. Dans ce film, il ne tue absolument personne ! Il n'y a aucune victime dans le camps des gentils, et pire encore, Manta devient simplement la marionnette du vrai méchant, un certain Dark le Sombre qu'il faut réveiller du sortilège qui l'a scellé à jamais. Jamais le personnage n'est traité, jamais sa haine pour Aquaman n'est véritablement mise en avant, jamais il n'est véritablement cruel. Il est lisse, plat, chiant.

Y-a-t'il quoi que ce soit à sauver dans ce naufrage interstellaire ? Eh bien oui : Quelques petits choix de direction artistique. Le premier film cherchait à varier les tons en proposant des éléments de SF, de fantasy, de péplum, le tout au service d'un univers qu'on devinait très riche même si pas des masses exploité. Dans ce second volet, on pioche dans l'esthétique rétro avec le vaisseau des méchants qui m'a fait penser à du Jule Verne, leurs machines à pattes rappellent les tripodes de la Guerre des Mondes de Wells. Plus étonnant, et je ne sais pas si c'est volontaire, mais les tenues que portent les sbires de Manta ressemblent à s'y méprendre à celles de La Planète des Vampires de Mario Bava. Quand j'ai vu ça, je n'ai pas pu m'empêcher de m'écrier "Mais qu'est-ce que tu fous là, Mario ?!". Et sur ce dernier point je serai tout seul, mais l'esthétique verdâtre du Royaume Perdu m'a vraiment fait penser aux Nécrons de Warhammer 40k. Même au niveau du lore, ça colle un peu. Si le grand méchant, ce n'est pas Szarekh le Roi Silencieux, je m'en coupe une !

Mais on est d'accord, c'est trop mince pour pouvoir apprécier un tel ratage.

Bien sûr que comme tous les films DC depuis l'annonce du reboot, Aquaman 2 a été sacrifié et n'était pas destiné à être bon. Bien sûr que même s'il l'avait été, il n'aurait été qu'une anecdote sans intérêt dans un univers cinématographique déjà mort. Pour autant, que de potentiel gâché. Que de bonnes choses détruites ou fichues à la poubelle. Depuis quelques années, le genre des super-héros est en pleine débâcle et lasse de plus en plus le public. Les projets se cassent les dents, ou bien sortent dans un état lamentable. Aquaman 2 n'est pas le pire du lot, mais une image d’Épinal de cette fin de règne.

Vivement que les prochains projets Marvel se cassent la gueule, qu'on puisse enterrer tout ça pour danser sur leur tombe et passer à autre chose.