Et le nez dans le fion, la révélation...

J'ai une relation... étrange avec Armageddon.

le film a beau être connu pour ça, je le trouve inexcusable de connerie sur tous les plans. Pire, je n'arrive pas à voir en ce film autre chose qu'une ode à cette Amérique bas du front qui érige ses rednecks les plus détestables en figures héroïques auxquelles s'attacher par amour du Coca Cola. Et je ne pense même pas qu'il s'en cache tant tout y est, de l'esthétique clipesque MTV à l'humour qui tartine les beauferies les plus grasses, en passant par les valeurs patriotiques exagérée (ces plans où tous les différents peuples de la Terre prient littéralement la fusée Américaine comme si elle allait mourir pour leurs péchés, quelle ANGOISSE).

Et attention, je ne prépare pas de twist en mode "ohlala mais en vrai en tant que bon petit plaisir coupable ça passe !". Ma seule note de 1/10 témoigne du mépris et de la plus totale antipathie que j'éprouve envers ce truc. Car bon, des spectateurs qui brandissent Armageddon comme étant le nanar débile ultime il y en a tout un tas...

(...et honnêtement je ne vois pas comment on pourrait apprécier le film autrement).

Mais seulement voilà, même comme ça je n'y arrive juste pas. Pire, je ne comprends pas.

Pour revenir sur mon sec 1/10, la règle veut qu'il faut vraiment pousser le bouchon particulièrement loin pour en arriver à m'arracher cette note. Généralement ce n'est pas dû à l'extrême médiocrité d'une œuvre puisque l'Enfer est pavé de bonnes intentions, et que même ratée, une œuvre, tantôt est-elle faite avec un minimum de bon-sens, peut décrocher ma sympathie, ou du moins un peu de bonne foi de ma part à essayer de chercher le petit grain de maïs pas digéré au fond de la cuvette.

Mais bon. Parfois le malaise est tellement grand que je ne prends plus la peine de faire ce maigre effort. Quand j'ai l'impression qu'on se fout de ma gueule sans retenue je fais péter le 1/10 sans une once de regret.

Et visiblement c'est l'effet recherché par Armageddon.

Un bon gros foutage de gueule.

Dans les règles.

Alors qu'en vrai ça n'aurait pu être qu'un énième film catastrophe sans relief que j'aurais oublié dans la foulée comme il en existe plein. Mais non.

Les curseurs sont poussés tellement loin que ça m'a juste sidéré sur le coup.

Et si c'est justement ce côté jusqu'au-boutiste dans sa bêtise qui plaît aux nanarophiles, de mon côté je n'ai pas décroché le moindre sourire ironique. En vérité ça m'a même rendu plutôt triste.

Triste car épuisé face à 151 minutes ininterrompues et interminables de bougisme stérile.

Triste car pris pour un débile capable d'aimer se faire entuber aussi longtemps sans m'insurger.

Triste car témoin des excès de l'américanisation du monde.

Et attention je ne suis pas du genre à balayer toute la culture américaine avec mépris comme certains peuvent le faire, au contraire les États-Unis ont su apporter beaucoup de choses chouettes. Mais comme beaucoup le monopole des États-Unis sur la consommation des médias constitue pour moi un véritable problème qui dépasse les frontières du divertissement et a une réelle incidence néfaste sur notre rapport à la culture.

Incidence néfaste dont le stade terminal réside en ce genre d'aberrations.

Armageddon.

Bon, ça n'a pas été le premier - et malheureusement encore moins le dernier - à porter le modèle américain comme étant supérieur à tout autre, à ériger des figures détestables comme des sauveurs de la nation, à tirer sur la corde de l'ultra-patriotisme carrément fasciste et à transmettre à son public des valeurs vomitives. Mais lui en particulier m'a marqué puisqu'il en est le déviant le plus dégueulasse à ma connaissance (et pourtant j'ai regardé San Andreas, c'est dire !).

Pour moi, tout est dit au travers du personnage principal, Harry, fier père de famille qui interdit sa fille de commettre l'odieux affront de fréquenter un mec. On a même droit à cette scène absolument lunaire où ce bon vieux Harry... tire à balles réelles sur le prétendu compagnon de sa fille pour aucune autre raison que d'être l'amant soupçonné (je précise : SOUPÇONNÉ) de sa descendance. On pourrait légitimement penser que la seule issue possible pour le visiblement tempéré Harry serait soit qu'il en vienne à réaliser la gravité de son acte, soit que son comportement de merde lui coûte le respect de sa fille, de son entourage, voire lui coûte la vie. Et quel chemin est emprunté par le film ? Le pire ! Celui où Harry est un bon héros car respectueux des valeurs conservatrices de la grande et forte Amérique ! Wouuuuuh ! Et surtout cher spectateur pas de sexe avant le mariage !

Sans déconner, le film ne prend jamais la peine de condamner ce comportement de véritable psychopathe, et vous voulez me vendre une grande scène d'émotion où il se sacrifie pour sauver les États-Un... euh pardon, le monde ? Mais qu'il crève ! Qu'il crève et qu'il souffre énormément avant sa mort parce que c'est tout ce qu'il mérite !

Ah, et cerise sur le gâteau, évidemment que pendant l'épilogue il est remémoré en tant que héros droit et noble qui a fait grâce de sa précieuse vie pour rendre service à sa nation.

Armageddon, mesdames et messieurs !

Mais attendez, ne ramassez pas vos dents tout de suite car il y a encore plus ! Oui, il a ce côté MTV suintant surcoupé qui arrive à filer un mal de crâne en un temps record (je me souviens de ce passage où il y a un type qui regarde un truc dans son télescope, il dit une phrase sans grand intérêt et il y a 5 COUPES pendant la phrase sur ces même pas 3 secondes ! Mais agitez des clés devant la caméra à ce stade, ça revient au même !), oui il y a cette représentation de la femme réduite au simple trophée et/ou à l'objet de désir sexuel, oui il y a ces fameuses 168 erreurs scientifiques (soit plus d'une par minute) dont même moi arrive à en cramer certaines, mais là je ne fais que citer l'évidence pour quiconque ayant activé son cerveau l'espace de 2 ou 3 secondes sur les 9060 du film. Et je veux bien que le but soit de débrancher son cerveau, mais admettez quand même que 2 heures et 31 minutes ça fait long la lobotomie, et ça revient cher en aspirine.

Et si certains peuvent avancer le fait que ce n'est pas grave si le fond du film est sale puisqu'on ne réfléchit pas devant, j'ajouterai que ce n'est clairement pas fait innocemment, et que le film compte bien sur le fait qu'on ne réfléchisse pas pour faire passer ses idées dégueulasses (car en toute franchise, comment ne pas être répugné par la démarche dès qu'on accorde ne serait-ce qu'un tout petit peu d'attention aux valeurs promues ?).

J'ai conscience que ça fait un peu conspirationniste du fond de sa cave persuadé de s'être affranchi de la matrice et avoir tout compris au monde, bien que ce n'est pas l'image de moi que je souhaite renvoyer, mais je suis désolé, est arrivé un moment où il devient impératif de se demander concrètement ce qu'on essaye de nous mettre dans le crâne.

Et c'est pour ça que je ne comprends pas. Je ne comprends pas quel plaisir on peut ressentir devant un truc pareil.

Parce que les acteurs sont sympas ? Parce que la musique n'est pas mauvaise ? Parce que ça bouge dans tous les sens donc c'est censé être à minima distrayant ? Parce que "t'inquiète, c'est pas prise de tête, c'est pas grave si c'est con" ?

Pour moi, la réponse est toute trouvée.

À moins d'être un patriote américain au dernier degré de fanatisme ou un spectateur au niveau d'exigence dangereusement bas au point d'arriver à voir un échappatoire en n'importe quoi prêt à exploiter cette passivité intellectuelle, je ne vois mais alors AUCUNE raison d'éprouver le moindre atome de sympathie pour ce film.

Pour rappel, littéralement la même année est sorti Starship Troopers, un autre blockbuster d'action qui pourtant était une mise en abîme satirique alarmante des dérives fascistes du cinéma populaire américain, en disant le total opposé de ce qu'il montrait.

Onze ans avant c'étaient les soldats de Full Metal Jacket qui déferlaient sur les terres désolées du Vietnam en chantant la chanson de Mickey Mouse, image cynique d'une culture vendue comme idéale et innocente alors qu'elle a du sang sur les mains.

Et en 1964 c'était Docteur Folamour qui riait de l'absurdité du modèle à la fois russe et américains qui étaient représentés par des clowns qui pensaient pouvoir contrôler la population comme des moutons en les prenant de haut alors qu'en interne c'étaient eux que le film prenait de haut en dévoilant leurs bêtises qui symboliquement auront détruit le monde...

C'est d'ailleurs amusant de constater qu'au travers d'une référence aussi inutile, Michael Bay, tel un aveu d'échec involontaire, rende hommage à ce film de Stanley Kubrick qui en réalité se moquait déjà de lui 34 ans en avance...

(...Encore un qui aurait dû activer son cerveau pendant les soirées film...)

Me concernant c'est ce que je retirerais comme enseignement de cet Armageddon.

Être pris pour un con, soit. Mais aussi peu le cacher, voire le revendiquer fièrement de la sorte, c'est juste du cynisme à l'état brut. Ça m'a juste donné l'impression qu'on m'en voulait personnellement et qu'on me considère suffisamment débile pour gober les plats les plus sales qu'il y avait en cuisine sans me plaindre.

Ou bien c'était une manœuvre subtile (bien que beaucoup, BEAUCOUP trop longue) pour m'inciter à revoir Docteur Folamour juste derrière... ce qui a d'ailleurs marché. Mais là encore j'ai quelques doutes.

Mais finalement j'y vois de la pertinence dans ce que ce film touche.

Cet arrière goût qui depuis tout ce temps me reste en bouche.

Pas celui d'un film un peu bête et rigolo, qui fait l'affaire d'une soirée popcorn autour d'une table.

Celui de la conséquence d'une Amérique dans ce qu'elle a de plus médiocre et détestable.

C'est triste, mais c'est là tout le rite initiatique auquel j'ai assisté, et depuis j'ai compris :

Comprendre et questionner, plutôt que de chercher à s'évader, ça compte un peu plus dans la vie. ;-)

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le 3 avr. 2024

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