Ça ne marche pas à tous les coups... Pourtant, il y avait d'abord ce socle de départ assez intéressant, ce roman de Jean Teulé, écrivain assez cinégénique au propos souvent passionnant. Puis le cinéaste : Jean-Paul Lilienfeld, revenu d'entre les morts après avoir offert un contre-emploi saisissant à Adjani dans "La Journée de la jupe". Enfin, l'association des deux : Lilienfeld semblait s'être confirmé dans un certain cinéma féministe et social, précisément le thème de prédilection de Teulé. Le problème, c'est que le film joue par conséquent dans la cour des grands et qu'il se pose en concurrent direct de "Darling", également adapté d'un bouquin de Teulé et traitant d'un sujet similaire, à savoir le destin tragique d'une femme battue. "Arrêtez-moi" pâtit donc déjà de la comparaison : c'est, quelque part, une sorte de "Darling" en moins bien, moins bien joué, moins bien écrit, moins bien mis en scène... les deux films se ressemblent trop, dans leur ton, dans ce déterminisme suffoquant, cette structure en flash-back, dans le contre-emploi d'une grande actrice (Marceau à la place de Foïs) pour échapper à la comparaison, définitivement en faveur du film de Carrière qui a de plus l'avantage d'être arrivé avant.

Maintenant, même sans faire de comparaison, "Arrêtez-moi" tient difficilement la route. Cela tient à son jeu d'acteurs, à ses répliques, à sa structure. Le film sonne terriblement artificiel : Miou-Miou malgré tous ses efforts ne parvient déjà pas à donner corps à son personnage de flic terriblement mal dialogué, mais c'est bien Sophie Marceau qui échoue dans les grandes largeurs, mine de chine battu et jeu monolithique à l'appui, la voir se débattre avec cette figure féminine brisée qu'elle est censée incarner fait de la peine tant son rôle semble lui échapper complètement. Lilienfeld trime dur pour faire décoller tout ça, par des partis-pris de mise en scène amplifiant la noirceur du récit, comme ces flash-backs sordides en vue subjective où la femme est aux prises avec son bourreau. Las, malgré quelques moments réussis, la sauce ne prendra jamais vraiment et le plus souvent on se désolera d'un terrible manque de spontanéité, de cette garde à vue qui semble ne vouloir jamais finir, ces dialogues affreusement mécaniques. L'effet glauque et oppressant recherché (que Carrière atteignait avec succès dans "Darling" par le choix d'un humoir très noir, notamment) ne naîtra jamais vraiment, et c'est l'ennui, voire le dégoût qui dominent pendant la majeure partie du métrage, qui se retrouve à essayer de susciter le malaise par des procédés un peu racoleurs (violence conjugale brutale et moyennement bien jouée). C'est terriblement dommage, car on sent que Lilienfeld et ses acteurs sont toujours à deux doigts de tenir quelque chose, il y a quelques moments où on se dit que tout cela va enfin décoller, mais en vain. Les acteurs ne trouvent pas leur ton, guère aidés par des dialogues ratés et un rythme apoplexique.

"Faites que je sois reconnue coupable parce que j'étais victime" : cette réplique, brillante d'intelligence, tout à fait dans le style de Teulé et très représentative de ce que recherche le film, cette terrible acuité sociale, est prononcée par Sophie Marceau mas tombera à plat comme la plupart de ses lignes. Il vaudra donc mieux, dans l'ensemble, se (re)plonger dans le livre, ou regarder "Darling" infiniment plus convaincant. Reste toutefois le discours, la portée sociale du film qui réussit tout de même à conserver l'idée directrice du livre de Teulé et à justifier (in extremis) près d'une heure et demie d'errance. Cette scène forte, la seule véritablement bien écrite et bien jouée, qui clôture le film, où la mère, derrière les barreaux, explique à son fils : "Il fallait que tu saches qui je suis et qui je ne suis pas. [...] Je suis coupable, je n'ai pas fait que subir. Je n'ai pas tellement envie de te parler, je n'ai même pas tellement envie de t'aimer, mais maintenant tu sais aussi que tu as une mère. Tu peux me détester, mais tu ne peux plus m'ignorer. Et c'est un beau cadeau, tu verras plus tard." Pas franchement suffisant pour pardonner la médiocrité générale du film, mais on ne pourra pas nier que Lilienfeld et Teulé, avec un peu plus de rigueur à l'écriture, ça pourrait donner à l'avenir quelque chose d'assez exceptionnel. Après tout, comme ils le disent eux-mêmes, l'espoir fait vivre.
boulingrin87
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le 31 août 2013

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le 31 août 2013

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Seb C.

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