Avec ce film, Samuel Benchetrit tente une nouvelle fois de capturer des instants de vie en cité comme il a su déjà le faire en littérature avec ses Chroniques de l'Asphalte. Dans l'un comme l'autre, il parvient à s'écarter des poncifs habituels et des multiples éclats violents que nous servent les JT, non pas pour amoindrir cette réalité, mais simplement pour mettre en lumière d'autres facettes de ces "yes man's land".
Asphalte, c'est avant tout l'histoire de rencontres entre des autochtones et des personnes extérieures à la cité. Des hommes et des femmes rongés de l'intérieur à l'image de la toute première scène exhibant une tour de béton éventrée. Ce qui est génial, c'est que Benchetrit utilise habillement le prisme de l'absurde pour renforcer le caractère isolé de la cité, comme s'il s'agissait d'un écosystème autarcique qui n'offre pour seule échappatoire des chutes, dans tous les sens du terme.
Une Isabelle Hupert qui joue ironiquement une actrice tentant désespérément de retrouver sa carrière. Un astronaute qui atterrit sur le toit de la tour. Un Gustave Kervern ostracisé qui s'invente une vie pour séduire une infirmière de nuit. Ces personnages évoluent en s'enfermant des trajectoires extrêmement artificielles, et pourtant ils dégagent tous une certaine justesse. Le comique de situation ambiant, qui a fait mouche sur moi quasiment à chaque reprise, n'émousse absolument pas la portée portée dramatique du récit. Dans ce dédale factice, les émotions parviennent tout de même à percer cette chape de plomb de l'irrationnel. À l'image de ces cris du coeur qui surgissent enfin lorsque les duos finissent par s'apprivoiser.
La mise en scène porte une attention particulière aux détails qui composent cette grammaire de l'absurde. Ces gestes répétitifs, ces ellipses bien placées, ce ciel morne qui écrase l'espace, ces cadres précis qui inscrivent les personnages dans leur environnement. Tous ces éléments sont capturés avec la même attentionqui sied parfaitement au sens du film. Je pense par exemple à ce passage où un personnage de l'ombre avance littéralement dans la lumière lorsqu'on porte enfin attention à elle.
Benchetrit nous livre donc une fable moderne, légère et intelligente qui force sciemment les traits d'une certaine réalité authentique.