Inutile pour ceux qui n’ont pas lu le livre, moyennement intéressant pour les autres.

Adapter Atlas Shrugged en film était une opération très, très périlleuse. En effet, comment adapter ce pavé de 1200 pages durant lesquelles Ayn Rand prend un soin tout particulier à développer son univers, ses personnages, sa réflexion ? Faire trois films est un début de réponse, mais ce n’est malheureusement pas suffisant.

L’univers est pour commencer expédié en 30 secondes au début, dans une mise en scène assez vomitive : beaucoup d’images se succèdent, avec moult tremblotements à la clé pour montrer que le monde va mal tu vois. Adieu la décadence progressive de la société si parfaitement mise en place dans l’œuvre originale.

Les personnages ensuite, point véritablement central du roman s’il en est : pour adapter AS, le casting se devait d’être irréprochable, parfaitement calqué sur la vision d’Ayn Rand, sans quoi l’échec de l’adaptation pouvait déjà être proclamé avant même sa sortie. En effet, comment imaginer Le Seigneur des Anneaux sans Viggo Mortensen ? Comment imaginer The Dark Knight sans Heath Ledger ? Ici, l’actrice incarnant Dagny Taggart, la personnage principale, se devait d’être parfaite. Et ce n’est pas le cas : Taylor Schilling est d’abord beaucoup trop charmante, et le réalisateur joue bien trop autour de ses tailleurs ultra-sexy pour la mettre en valeur. Mais surtout, elle possède une palette d’émotions bien trop évoluée. Au lieu d’un visage rigide, ferme et mathématique, on a l’impression qu’elle est faussement déterminée, un peu perdue dans un rôle qu’elle ne peut maîtriser.

En fait, et c’est le problème général du film, ils ont complètement américanisée Dagny Daggart. Mais américanisée genre en mode True American Hero actuel. Le film se passe en 2016, donc autant dire de nos jours, soit dans une économie capitaliste qui ferait pleurer Ayn Rand tant sa réflexion se base sur un modèle honnête (une des principales faiblesses du bouquin d’ailleurs, détaillée dans ma critique (http://bit.ly/19ne6Rz)). Et si toute la réflexion du livre ne peut donc dès ce prédicat plus marcher, c’est encore pire en adaptant ses personnages et ses situations au modèle Américain actuel. La première rencontre entre Dagny Taggart et Hank Rearden illustre ça à la perfection : ils échangent un regard, et ça y est on dirait deux amoureux transits refoulés. Ceci est l’EXACT OPPOSÉ du livre. Ces deux-là ne sont sensé traiter qu’affaire, être froids et mathématiques, et pourtant humains. Ici, ce sont justes des True American Hero des 2010’s on ne peut plus classiques. Le comble du facepalm revient quand même au moment où Rearden et Taggart s’enlacent dans le train suite à la traversée du pont, là c’est carrément une double pénétration doublée d’une gorge profonde que se prend Ayn Rand. Et la fin sur Dagny qui hurle devant la torche de Wyatt est tout aussi tragique. Ce modèle de sang-froid hurle en se tenant la tête et en se roulant par terre. Une blague.

Le reste du casting est assez cliché mais plutôt bien choisi. Grant Bowler en Rearden fait beaucoup trop bogoss US, mais il tient plutôt bien son rôle. James Taggart est clichéissme mais passe bien. Wesley Mouch est très bien, et la palme du meilleur rôle revient à Ellis Wyatt, que j’ai trouvé assez parfait. En revanche, carton rouge pour le choix de Rebecca Wisocky en Lilian Rearden. Non seulement elle ne va pas du tout au rôle (Lilian est sensée être charmante et subtile, là c’est vraiment le cliché de la femme moche mariée pour le fric), mais elle rate également chacune de ses apparitions.

Une conséquence directe de cette américanisation de l’œuvre est la disparition de toute la subtilité, de tous les mystères ou presque. « Le Destructeur » comme appelé dans le livre est montré dès la première scène, Midas Mulligan idem, etc. Cela rejoint la critique faite précédemment sur l’univers : tout nous est livré sur un plateau, là où le livre nous obligeait à faire preuve de réflexion, de compréhension. Bref, tout nous est donné sans le moindre effort, un comble pour un film sensé prôner le contraire.

Concernant l’adaptation des évènements, c’est en revanche plutôt correct : les scènes s’enchaînent avec une rigueur appréciable pour qui a lu le livre, mais qui perdra quiconque n’a pas les liants intra-scènes. Néanmoins, certaines facilités sont déplorables (Hank Rearden connaît de base l’existence du moteur, ok… Eugene Lawson qui a un rapport avec ledit moteur juste pour introduire le personnage, ultimate joke inside) et surtout il y a certains oublis incompréhensibles : lors de la rencontre entre Dagny et Hugh Akston, on le voit bien allumer sa cigarette, mais il n’en propose pas à Dagny. Or, ce petit détail est d’une importance primordiale pour la suite ! Il permet de développer toute une réflexion essentielle au roman, comment vont-ils continuer sans ça… ? Idem, un des moments les plus intenses du bouquin concerne la foule présente pour l’inauguration de la John Galt Line quand bien même les syndicats ont fait barrage aux employés. Si l’on voit bien ce barrage, la conclusion émotionnelle des évènements est éclipsée, ce qui est totalement incompréhensible ! C’est commencer une intrigue sans la terminer, une intrigue importe qui plus est.

Néanmoins, même si j’ai été assez critique le film se suit agréablement pour qui a lu le livre, du moins jusqu’à la traversée du pont (l’ennui prend ensuite petit à petit le dessus, la faute à un rythme mal géré). Retrouver tous ces personnages, même si des fois honteusement écorchés, fait plaisir, et se rappeler le déroulement mathématique de l’œuvre avec du recul tout en regardant son adaptation cinématographique est également un petit plaisir. J’étais d’ailleurs parti sur une note plus élevée, de l’ordre de 6 voire même peut-être 7 dans le premier tiers, la moyenne SC de 3.6 étant tout de même honteusement trollesque.

Mais force m’est d’avouer que cette adaptation est tout de même un ratage : sans les dizaines de pages de description des personnages et de l’univers, AS devient superficiel. Sans le respect de son contexte, la philosophie d’Ayn Rand peut trop facilement être assimilée à de la propagande capitaliste actuelle dégueulasse. En transformant les personnages principaux en True American Heroes, cette impression ne peut être que renforcée. Mais pour qui a lu le livre et l’a compris, cette impression n’a pas lieu d’être. Replonger dans AS est intéressant, prenant. Les défauts qui gangrènent le film n’en sont que plus attristants.
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le 27 déc. 2013

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