Delon à Cran de le Fratrie

Deux ans après avoir signé son meilleur film avec La Traque, le réalisateur Serge Leroy fait une nouvelle fois preuve d'une belle audace avec Attention Les enfants Regardent, un étrange thriller anxiogène produit et interprété par Alain Delon. Le film est adapté par Serge Leroy et Christopher Frank d'une nouvelle de Peter Dixon et Laird Koening et nous propose une sorte de conte psychologique et amorale sur l'enfance.

Attention les Enfants Regardent raconte l'histoire de quatre gamins frères et sœurs qui se retrouvent quasiment seuls dans l'immense maison de vacances familiale tandis que leurs parents sont retenus en Irlande pour un tournage. Comme unique encadrement les enfants ont une bonne espagnole et une jeune femme, secrétaire de leurs parents, qui passe de temps en temps pour les voir. Un jour les enfants décident par un jeu pas si innocent que cela de tirer le matelas pneumatique sur lequel la bonne s'est endormie jusqu'à la mer en sachant très bien que la malheureuse ne sait pas nager. La jeune femme se noie alors sous les yeux des quatre enfants mais aussi sous le regard d'un mystérieux voyageur qui observe la scène en cachette. Les enfants décident de dissimuler la mort de leur gouvernante et se retrouvent alors livrés à eux même pour leur plus grand bonheur. Mais lorsque l'inconnu s'introduit dans la maison et commence à imposer sa domination sur le groupe d'enfants en menaçant de dire la vérité, les choses tournent mal …

Attention les Enfants Regardent est un très bon petit thriller dont le principal atout reste le regard juste et froid que Serge Leroy et Christopher Frank portent sur l'enfance sans l’angélisme habituellement associé à cette douce et gentille période. Sans pour autant occulter la part d'innocence qui motive leurs actes et leurs paroles, les enfants sont montrés ici comme manipulateurs, grossiers, violents, cruels, dangereux, influençables, racistes sans même s'en rendre compte et sans pitié. Le film s'éloigne également du schéma habituel de l'enfant maléfique en proposant ici des gamins d'autant plus inquiétants qu'ils sont tristement ordinaires. Une fois libérés de toutes surveillance les gamins ne vont finalement aspirer qu'à s'amuser, jouer aux adultes, se goinfrer de cochonneries, crapoter des clopes et se vautrer devant la télévision jusqu'à plus d'heures histoire de regarder par exemple Le Mataf de Serge Leroy (Comme c'est étrange). Si l'un des sous texte du film reste donc l'influence néfaste du petit écran avec notamment cette phrase pleine d'ironie « Ce n'est pas toi qui l'a tué, c'est la télé » le film ne sombre pas pour autant dans le pensum caricatural sur le grand démon des écrans responsable de toute la violence du monde. Même si lors de plusieurs scènes on nous montrera que les enfants vont s'inspirer de ce qu'ils ont vu sur le petit écran, c'est bien plus de l'absence des parents, des adultes et par extension de référents, de limites et d'éducation dont parle Attention Les Enfants Regardent. Assez symboliquement afin de combiner les deux axes qui vont conduire ses enfants à se perdre, les parents ne communiquent avec eux qu'avec des bandes vidéos qu'ils envoient régulièrement faisant du coup entrer l'autorité parentale épisiodique à travers la fréquence d'un feuilleton télévisé.

Il faut saluer l'excellente prestation des quatre jeunes comédiens qui par leur charisme et leur naturel volent carrément la vedette à Alain Delon. L’aînée de la fratrie interprétée par Sophie Renoir est une pré-adolescente plutôt autoritaire et meneuse de troupe qui n'hésitera pas à user de son innocence et de ses charmes naissant pour parvenir à ses fins. Son frère plus en retrait et suiveur interprété par Richard Constantini se fera le plus souvent le bras armé des plans de sa grande sœur. Et puis il y-a le petit frère Boule (Thierry Turchet), un petit gros à lunette, éternel souffre douleur et objet de toutes les moqueries qui se console en mangeant des rillettes à la petite cuillère comme les dépressives de comédies romantiques s'enfilent des pots de Häagen-Dazs . Et puis il reste Laetitia (Tiphaine Leroux) qui du haut de ces cinq ans est la benjamine de la bande, un personnage dont la candeur, l'innocence boudeuse et frondeuse vont souvent servir de soupape comique mais aussi de tension lorsqu'elle sera mise en danger et de tendresse lorsqu'elle finira par tenter d'apprivoiser de ce mystérieux inconnu. La bande fonctionne dans une parfaite alchimie et sur le fil du rasoir en ne sombrant jamais dans l'excès ou la caricature.

Concernant Alain Delon j'aurai presque envie de dire qu'il fait du Alain Delon, le personnage est un type énigmatique, charmeur et ténébreux et puis finalement pas grand chose d'autres. Il faut dire que le personnage est très peu écrit, on ne saura rien de qui il est, d’où il vient ni même quelles sont ses véritables motivations , difficile donc d'en vouloir à l'acteur de ne pas proposer beaucoup plus que sa charismatique présence. Le personnage représente sans doute l’arrivée d'une forme d'autorité supérieur, d'une conscience des actes passés qui refait surface, d'une figure presque fantastique d'ogre ou de loup qui après avoir longtemps roder s'est introduit dans la maison des quatre petits cochons. Un personnage pas vraiment lisse qui insulte, frappe, bouscule et menace ses gamins qui s'étaient octroyer pour un temps la liberté de se croire tout permis. Si globalement l'histoire tient en haleine, le film souffre tout de même de nombreuses incohérences un peu ennuyeuses et d'une légère baisse de rythme et de tension lors de son dernier acte d'autant plus que la mise en scène de Serge Leroy manque parfois un peu de mordant dans les moments les plus forts. Il faut aussi saluer la bande originale signée par Eric Demarsan dont certain morceaux entre le cantique religieux et le chœur d'enfants donne au film une aura un peu étrange et inquiétante.

Attention Les enfants Regardent est une très bon petit film français à redécouvrir, presque un film de genre mais pas tout à fait puisque le film tord joyeusement le coup aux clichés des gamins démoniaques pour mieux nous remettre en mémoire cette simple vérité : l'enfance n'est pas que joyeuse douceur et innocence, elle est aussi faites de pulsions de cruauté et de méchanceté crasse qui sans encadrements peuvent tourner au drame.