Cher Papa,


J'ai toujours su que tu irais jusqu'au bout. Après tout, c'est pas pour rien que tu es mon Papa.


Je t'ai vu le mener, ce combat, année après année. Après année. De plus en plus seul, de plus en plus livré à toi même devant cette justice imposante qui traîne des pieds et se dénie elle-même. Du haut de son piédestal, toujours avec ce bandeau qu'elle s'obstine à ne pas enlever de ses yeux, elle t'a regardé tout ce temps te battre, te débattre contre ses circonvolutions et ses hypocrisies pour ne pas se mettre à dos une Allemagne qui défend ses compatriotes.


Tu as eu le courage de ne jamais baisser les bras. Tu as dû d'abord lutter par tes propres moyens, sûr que tu étais que Dieter m'avait fait du mal. Tu ne l'as jamais lâché, celui-là, au bout d'une odyssée judiciaire conjointe. Tu l'as regardé dans les yeux, comme on regarde l'incarnation du mal, en te jurant que tu vaincrais tous ceux qui t'empêcheraient de tenir la promesse que tu m'as faite. Au Nom de ma Fille évite les longs discours de prétoire pour s'intéresser à toi, à tes difficultés, à ce que tu ressens.


Le film, s'il n'apporte rien de nouveau sur le fait divers, parle cependant de ta volonté inébranlable d'obtenir justice, malgré elle et tous ceux, même maman, qui ne croyaient pas en ta croisade. Tu ressembles à Denis Robert, le journaliste de L'Enquête, ou à Alain Marécaux, l'huissier d'Outreau. Tu as cette même obsession que filme à chaque fois Vincent Garenq, dans une immersion qui touche au coeur et suit au plus près celui qui cherche à faire éclater la vérité. C'est aussi cette même justice qui se perd et qui plie sous le propre poids de ses procédures et de ses lenteurs. Vous trois, vous êtes les symboles de ses dysfonctionnements, de ce piège qui se referme sur les petits, ceux qui n'ont rien demandé et qui se trouvent comme asphyxiés.


Au point que tu t'es mis hors la loi. Pour moi. Mais là où tu as attendu trente ans pour qu'enfin Dieter soit puni, on sait te chercher tout de suite, toi, parce que tu l'as fait enlever. Parce que tu as fait le boulot de la justice à sa place. Elle est rapide, parfois, cette justice, comme ce fourgon de police qui t'amène devant le juge, et qui double l'ambulance dans laquelle se trouve Dieter avant que celle-ci prenne une autre route. Tu sais, j'ai pleuré, Papa, ce jour là. Car même si je n'étais pas là, j'étais pourtant avec toi. Et je voyais notre famille voler en éclats. J'ai vu que Maman, elle ne voulait pas croire que c'était lui qui m'avait fait cela. Vincent Garenq a filmé cela, aussi : ces mensonges dont on se fait un manteau et avec lesquels on vit malgré tout. Mais Maman, elle n'est pas responsable, pardonne-lui.


Cher Papa, tu as passé trente ans contre l'adversité et l'absurde pour moi. Au prix de ta vie et de la femme qui t'as aimé, après Maman. Vincent Garenq s'intéresse aussi à celle qui te soutient, qui partage ton désir de vérité. Il filme l'épaule qu'elle t'offre, ses encouragements, celle qui se résout à ne pas être la première dans ton coeur et à te voir partir pour chasser ta propre baleine blanche. Celle qui souffre en silence parce que tu n'es pas là et que tu t'isoles. Je me dis parfois que c'est de ma faute. Ton obsession, ta traque, Daniel Auteuil l'a fait sienne. Il te rend justice comme peu auraient su le faire. Sa peine, ses sentiments sont palpables, et je t'ai reconnu en lui, Papa.


Maintenant, tout cela est terminé. Dieter est derrière les barreaux. Au Nom de ma Fille te rend un vibrant hommage. Sans pathos, sans sensationnalisme, toujours avec pudeur et un certain désenchantement sur cette justice que tu auras mis trente ans à obtenir. Je suis heureuse pour toi, Papa. Parce que ta vie commence enfin.


Ta fille qui t'aime.

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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Une année au cinéma : 2016 et Les meilleurs films français de 2016

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le 21 mars 2016

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