Le premier visionnage de ce film, curieusement, ne m'avait pas marqué sur le coup. Mais tout beau film dans une vie vous laisse au final une petite trace à jamais dans votre mémoire et qui ne se dilue jamais. Tel un tout petit écho mais dont sa petite taille nous fait rappeler paradoxalement sa plus grande présence comparé à d'autres. C'est en le revoyant que j'ai compris où voulait en venir "sensoriellement" Sogo Ishii.
Car dans August in the Water, il y a une intrigue, mais ce n'est pas ce qui intéresse premièrement dans le fond ce réalisateur (ainsi que le spectateur, à force d'être un peu hypnotisé sans le vouloir jusqu'à la fin du film). C'est la "matière" de cette intrigue. Et donc de ces éléments physiques et invisibles qui la constitue en tant que telle.
Le film traite alors deux types de matières dont la mise en scène les accouplent pour ne former qu'un : la matière filmique (les images et les sons qui sont au final identiques dans leurs accouplements et leurs dérives) ainsi que la matière organique, celle qui est filmée (la pluie, le sang, la vapeur, l'air, la peau, etc.)
Tout le principe de cette intrigue, tout d'abord classique (deux amis lycéens rencontrant une jeune fille : la base de la base d'un slice of life à l'eau de rose que l'on voit en anime, films, mangas etc mais que l'on redemande avec plaisir) et mystérieuse (des météorites menaçantes, des gens dont leurs organes se transforment en pierre), tout ceci est un prétexte pour Sogo Ishii de faire un jeu même si l'on ressent d'avantage son intérêt pour l'histoire qu'il souhaite nous raconter.
Un jeu donc de perceptions et de sensations, sonores ou non (car le silence se ressent lui aussi) tentant d'éveiller le plus infime ressenti d'un "sixième sens " chez le spectateur ainsi qu'à l'intérieur de son subconscient. Ce film veut finir par secouer, tel une boule de neige remuée, nos sens, ceux des personnages, afin de faire remonter (à force de remuer la matière) la vapeur et donc, l'odeur de cette recette filmique proprement choisie par le réalisateur. Un des personnages réagira en ce sens par exemple, lors de cette belle scène de festival en pleine ville : "J'aime l'odeur de l'eau qui s'évapore." Par des partis pris contemplatifs et un montage parfois clipesque, August in the water traite la matière filmique comme une matière organique : on a presque envie de sentir l'odeur de la pluie, ainsi que de la toucher. Comme si le film nous incitait à réapprendre à mieux dédoubler nos sens.
On peut être, bien sûr, ému par l'histoire que l'on nous propose.
Dans le fond, si l'on fait un film, c'est pour émouvoir. Mais ici, c'est la mise en scène plutôt que l'histoire, qui nous émeut. Même si la dernière reste assez prenante (je pense notamment à la scène de la fille plongeuse retournant à son propre élément qu'est l'eau, comme aimantée par une force qui était toujours en elle depuis le début.)
Ce qui se joue comme but en soi se situe donc encore plus loin que tous nos sens réunis. Et c'est ce que nous propose assez particulièrement de manière hypnotique, unique et assez musicale le film.
August in the Water finit paradoxalement par devenir alors en son entièreté et en son propos : un "hors-champ".
Un hors-champ de notre univers et de son infini.
Car définir un cadre, c'est avant tout définir un hors-champ, et donc définir un sens qui nous est caché mais qu'il faut en soi deviner hors du cadre. Définir un mystère donc. Ce que fait lentement et avec délicatesse le film.
Mais comment peut-on cadrer en un champ l'infini, l'invisible, l'inexplicable ? Et bien en cadrant le "ressenti" et les réactions face à cet infini confronté, cette immensité imposée à nous tous. Le hors-champ étant ce poids invisible et effrayant qui a l'air de nous menacer, mais qui nous fascine.
Ces "ressentis" donc, que l'on remarque sur les beaux visages frêles des acteurs ainsi que les visages des lieux.
Parfois, une scène récurrente dans ce film montre les habitants de la ville de Fukuoka tomber en plein jour ensoleillé et en pleine rue car leurs organes finissent par devenir roche. Le point de vue proposé par la position de la caméra, se veut dans ce cas-là, lointain, nous montrant alors une image qui se floue, qui tremblote, qui se distorde comme l'effet d'un mirage en plein désert. Le personnage principal qui veut sauver la fille qu'il aime lui crie d'ailleurs : "Tout ceci n'est pas réel, parle-moi!". Comme s'il ne voulait pas croire à la présence pourtant bien prononcée de ces mirages qui l'entoure.
Malgré ce rapport de distance face aux choses qui nous entourent mais aussi face à ce qui nous constituent (on se réfère plusieurs fois aux cellules dans le corps dans quelques scènes, par exemple.) la nostalgie que les scènes font ressortir d'elles-mêmes sans aucun effort, perdure avec une certaine beauté et une atmosphère quelque peu marquante.


Bref, j'ai beaucoup aimé August in the Water. Et j'ai fini par être ému malgré ses effets de recul et de "distance" face aux choses : une distance humide, qui nous paraît austère aux premiers abords..
mais qui nous rassure.
(et qui en un paradoxe assez touchant, abolit les frontières.
Ce que devrait, avant tout, faire le cinéma.)

BluesEnCamélias
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le 28 avr. 2021

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