Un film solaire sur l'obscurité éternelle

Premier long-métrage de Léa Mysius qui a impressionné le public lors de la Semaine de la critique au Festival de Cannes en 2017, Ava est un film bipolaire traitant à la fois du commencement et de la fin.


On peut même dire que le film commence par la fin. Ava, jeune adolescente méprisant ce monde saturé par des humains qu’elle considère mauvais et préférant la compagnie des chiens, perd peu à peu la vue, ne lui laissant que quelques semaines pour profiter de sa vue. Mais à partir de ce changement physique profond, au lieu d’adopter un ton misérabiliste, le film préfère montrer un commencement joyeux. En parallèle du développement de sa cécité, Ava découvre peu à peu sa sexualité et son premier amour, Juan, un jeune gitan vivant dans un blockhaus avec son chien noir, et qui, comme elle, méprise les autres humains. Ne pouvant de ce fait vivre comme les autres, les amants et leur animal vagabondent sur les routes en volant des vacanciers d’une manière, disons particulière, tout en se faisant poursuivre par les forces de l’ordre évoquant directement Pierrot le fou… mais avec un chien. Pourtant, même si leurs actions sont moralement condamnables, les autres qui essaient de mettre fin à leur relation sont montrés eux aussi sous un mauvais jour, notamment la mère d’Ava qui est dans le déni quant à la vue de sa fille, prétextant lui offrir des vacances mémorables pour au final coucher avec un homme 10 ans plus jeune qu’elle. On apprend aussi par la suite du film que Juan est en conflit avec ses proches.


Et de cette bipolarité, le film puise tout son charme. D’abord par la photographie: pour en faire un film complètement solaire, les couleurs plutôt contrastées donnent un côté très pictural comme ce qui a été fait pour Pierrot le fou, les deux films étant tournés en pellicule 35mm. Sans oublier que cela fait office d’échappatoire à la pire peur d’Ava qui est de “n’avoir vu que la laideur de ce monde” J’aime beaucoup aussi la manière dont est traité la nudité. La pellicule filmant sur une plage nudiste est gravée par des fesses, seins et pénis qui ne sont en aucun cas sexualisés, donnant ce côté animal bon qu’à se faire voler par Ava et Juan. Les seules scènes plus passionnées du film sont lorsque les deux compagnons dorment l’un à côté de l’autre, et Ava, avant de perdre sa vue, veut découvrir le corps de son amour.


Je garde cependant quelques réserves quant à la séquence de cauchemar, qui pour moi manque de subtilités, qui ne m’a pas semblé dire autre chose que “elle a peur de devenir aveugle et son corps se transforme” et qui a été vu un bon nombre de fois, même s’il faut lui reconnaître sa beauté. Mais cette scène est contrebalancée par d’autres qui sont les zéniths de ce film solaire. Une route déserte, un garçon, une fille tenant un chien qui se met à danser sur Sabali de Amadou et Mariam, un couple de musiciens.


J’apprécie aussi beaucoup la fin sous forme d’arrêt sur image qui bien évidemment renvoie aux dernières images qu’Ava aura en mémoire avant de perdre la vue, mais est préparée par une série de lumières/ombres alors que les deux amants partent vivre librement en voiture.

Lulu_la_tortue
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le 27 juil. 2021

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