Justice et vérité ?

ssVoilà un film qui aborde la question des violences commises par les forces de police dans les quartiers populaires, violence généralement exercée envers des personnes jeunes et dont le type ethnique n'est pas blanc caucasien. Violences qui peuvent aller jusqu'à la mort de la victime, ce qui est le cas dans ce film, et qui se poursuivent, envers les familles des victimes, à travers le déni qui leur est opposé par les institutions policière comme judiciaire, qui s'opposent à toute forme de reconnaissance de leurs droits. Entretenant par leur attitude le sentiment d'une justice à deux vitesses, selon qu'on est un bourgeois blanc (ce qui va souvent de pair) ou un prolo racisé (ce qui va également souvent de pair). L'autre versant du truc étant la mansuétude dont font généralement preuve les juges envers politiciens et business men corrompus.

Au delà de son évident message politique, le film est d'un point de vue cinématographique tout à fait correct : le scénario est bien fichu, il y a de la tension et du rythme et les interprètes s'en sortent plutôt bien. Certes, ce n'est pas la grosse claque dans la gueule des Misérables de Ladj Ly : aucune scène violente dans le film. Car ici le point de vue est beaucoup plus intimiste et se focalise sur la famille de la victime, après. Sur ses déchirements, ses hésitations, ses difficultés à faire reconnaître son bon droit au sens de la loi française. Un parcours semé d'embûches, car l'avocat est exigeant en termes d'honoraires, les médias présentent évidemment la victime comme "défavorablement connue des services de police" et la police utilise tous les moyens de pression à sa disposition pour enterrer le dossier. A noter aussi que le film ne tombe pas dans un excès d'angélisme qui en décrédibiliserait le propos : Karim (c'est la victime) n'était certes pas un ange, mais il avait également des côtés humains plutôt touchants. Bref, il est difficile de taxer ce film de manichéisme.

Le film se veut également un hommage à toutes les familles de victimes de violences policières qui luttent pour obtenir justice, à commencer par la famille Traoré. A noter au passage que depuis la révolte des gilets jaunes, ces victimes ne sont plus systématiquement racisées. Il vise avant tout à montrer à quel point ces luttes sont difficiles à mener, par la voie légale et oserais-je dire républicaine. Et il s'achève sur une fin ouverte, sans que le spectateur ne sache ce qu'en sera l'issue.

Difficile de conclure sans évoquer le contexte dans lequel s'est passée sa sortie. Ce film a été littéralement massacré sur les réseaux sociaux (et SC ne fait pas exception à la règle si j'en juge par de nombreuses critiques, généralement peu étayées et assorties d'une note de 1, émanant manifestement de personnes qui ne l'ont pas vu). Pas bien difficile de deviner par qui. Résultat, je n'ai pu le voir que dans une salle éloignée du centre-ville et à un horaire inhabituel pour moi. Il n'a pourtant rien d'un brulot, est plutôt émouvant (à moins de détester les arabes) et résonne tout de même fortement avec l'actualité du pays (assassinat de Nahel Merzouk à Nanterre en juin 2023). De très bonnes raisons pour essayer le voir. Et je lui colle une note bien au dessus de ses seules qualités cinématographiques pour compenser ce que j'évoque quelques lignes plus haut...