Je vais profiter de mon visionnage d'Avatar pour paster ici mon avis sur la 3D.

La 3D, une technologie de beaufs ?

Quand j’étais enfant, je recevais dix francs belges à chaque fois que je remplissais une tâche ménagère. Dix francs belges, c’est l’équivalent aujourd’hui de 25 centimes d’euro — je ne porte pas de jugement sur ce principe éducatif particulier, c’est un autre sujet. Chaque mercredi (puis chaque samedi), avec 68 francs belges, je me payais le Pif Gadget. Dans cet hebdomadaire, nous recevions régulièrement, pincées dans le film plastique, les lunettes anaglyphes basiques (un oeil rouge, un oeil bleu), qui permettaient de donner du relief à quelques images couchées sur les pages centrales. J’étais subjugué par le phénomène magnifique — de manière purement geek, au sens réel du terme —; comment était-il seulement possible que l’objet (le cube, le voilier, l’automobile) représenté en deux dimensions m’apparaisse tout à coup en relief ?

Je me souviens de l’attitude de mes amis de l’époque au regard des gadgets du Pif ; certains y mettaient le feu pour que ça sente mauvais — mais d’autres restaient aussi fascinés que moi — pas seulement par la 3D, mais également par l’aspect éducatif des différents cadeaux ; ça allait de la confection d’un thermomètre avec un poids accroché au bout d’un long cheveux, de faire gonfler une matière spongieuse en la gorgeant d’eau, en passant par l’élevage de têtards lyophilisés en sachet.

Nous allions entrer dans l’époque informatique, j’avais 10 ans, à la télé Patrick Battiston se faisait agresser par Harald Schumacher, et j’avais épargné pour me procurer un mensuel nommé Science&Vie — un numéro spécial 3D qui me narguait depuis le présentoir. On y expliquait carrément le phénomène, comment il fallait séparer l’image reçue par l’oeil droit de celle reçue par l’oeil gauche, et que — mon Dieu — plusieurs techniques existaient. Les rédacteurs allaient jusqu’à nous expliquer comment tracer nos propres oeuvres en relief, avec un marqueur rouge et un bleu (ou magenta et vert), et je m’amusais à composer mes propres cubes et mes propres lettrages surgissant du papier.

Quand l’informatique est entrée dans ma vie, le Science&Vie a laissé la place au List, à l’Ordinateur Individuel et autres magazines contenant des listings informatiques, et il a fallu attendre 1989 pour qu’une nouvelle technique de 3D vienne à moi. Je possédais une Master System de Sega, et une interface pouvait y être branchée afin de visionner certains jeux en relief 3D. La technique employée par Sega était proche de celle que nous connaissons aujourd’hui, c’est à dire que les lunettes que l’on chaussait étaient munies de deux obturateurs à cristaux liquides, qui clignotaient alternativement 25 fois par seconde (la seule différence avec aujourd’hui est cette valeur, qui est de 60 fois par seconde.) Ça donnait un mal de tête au bout de vingt minutes, mais l’expérience était énorme ; Space Harrier en relief 3D, c’était l’étape qui devait suivre ma découverte du relief 3D de mes 10 ans, le passage de la 3D fixe à la 3D animée.

Et dans la presse, que nous expliquait-on ? Entre amis, qu’en disait-on ? D’abord, on ne se posait pas la question de l’intérêt — c’eut été comme chercher un intérêt à un feu d’artifice. Nous avions imaginé ceci :
Les siècles précédents, les gens allaient suivre des fictions dans des salles, assis face à une scène sur laquelle des gens récitaient et jouaient des actes. Les pièces de théâtre étaient des représentations vivantes d’histoires extraordinaires. L’un de nous a dit simplement que le seul défaut du théâtre, alors que l’humanité entrait dans une ère technologique et capitaliste, était la distribution de l’oeuvre ; on ne pouvait jouer qu’à un endroit géographique à la fois — à moins de monter 3 ou 4 troupes d’acteurs, qui arpenteraient les villes du monde ; mais ça coûtait d’autant plus. Puis encore, l’un de nous a dit : et si on trouvait un moyen de se servir de cette technologie émergente qui, à la fin du XIXè siècle, permettait d’enregistrer des scènes et de “filmer” ces pièces de théâtre ? L’avantage était énorme : les agents ne payeraient qu’une unique troupe d’acteurs, et ils pourraient diffuser leur pièce de théâtre dans 50, 100, 150 villes en même temps. Et amasser l’argent.

Voilà un peu comment, mes potes et moi, avions compris le cinéma — même si le cinéma jouira de règles propres par la suite —, c’était un moyen de diffusion fantastique, dans un premier temps, d’oeuvres théâtrales, avec un gain financier énorme : 150 salles simultanées remplies d’un public renouvelé 5 fois par jour, observant les pérégrinations d’acteurs qu’on ne paye qu’une fois, qui jamais ne se trompent, ni ne se fatiguent !
Était-ce bête ou non, en tout cas c’était notre explication — une de nos explications.

Mais là où je veux en venir, c’est qu’en passant du théâtre au cinéma, si on multipliait les gains, on quittait l’univers tridimensionnel du théâtre pour entrer dans le monde de l’écran à l’image aplatie. On perdait une dimension, mais ce n’était pas le plus important — d’ailleurs les premières projections d’un train en 2D arrivant en gare faisaient fuir le public assistant à la projection — la 3D n’était même pas nécessaire pour provoquer l’effet réaliste.

Bien sûr, tout le monde ne l’a pas entendu de cette oreille : l’important n’était pas “le relief”, la “3D” en tant que telle, mais la “fidélité” à la scène tournée, et, bien entendu, le relief est plus fidèle à la réalité que l’écrasement des volumes sur un support plat. Pourquoi en effet devait-on voir par un seul oeil (celui de la caméra) alors que nous en avions 2 ?

On a donc trouvé normal de filmer, très tôt, avec 2 objectifs, pour que la caméra qui filmait la scène soit un témoin “à 2 yeux”. Il n’était pas question d’impressionner le spectateur avec des effets jaillissants, mais simplement d’avoir un dispositif d’enregistrement qui ait le même nombre d’yeux que le spectateur, et ainsi de rendre la diffusion plus “fidèle” à ce qui se passait sur le plateau. Quand Hitchcock filme Psychose, sur ce même plateau, il voit la scène en 3D, il imagine une scène dans un espace. Pourquoi n’avons-nous pas droit à la vision du réalisateur ? Alors bien entendu, le réalisateur peut très bien utiliser la 2D pour ses particularités propres, et “jouer” avec cette image plate — peut-être que certains films sont tournés uniquement pour la 2D.
Évidemment, les premiers résultats était ridicules, et ne serviraient que de prétextes à s’amuser à base de poissons carnivores, même de se moquer de la technologie, voire de se moquer de la vision humaine en relief 3D.
Il y a 2 ans, je me suis payé un écran de PC, utilisant une 3ème technologie 3D, la technologie 3D passive. Je continuais mon apprentissage. La magie opère grâce à la polarisation positive ou négative des deux verres des lunettes. Les films 3D sont très impressionnants sur cet écran — mais peut-être justement trop. Les réalisateurs ne peuvent pas s’empêcher de faire jaillir des objets à l’écran, pour bien montrer une 3D exacerbée, plutôt que d’utiliser cette technique afin d’augmenter la fidélité de ce qui se passe sur le plateau de tournage (rien n’a besoin de “surgir” pour être intéressant en 3D).

Début 2013, je me suis acheté un écran plat. Il était, sans que ça soit requis, compatible 3D. J’ai annoncé la chose à un pote, et il m’a ri au nez. J’ai directement revu ce gamin que j’étais et qui dévorait le Science&Vie, et j’ai trouvé ça injuste. La technique du relief, qui n’est pas pour autant extraordinaire, semble simplement évoquer aux gens l’image du public qui réclame les productions débiles actuelles : les beaufs et les gosses.

Alors voilà ; ma passion geek pour les phénomènes physiques est devenue, en 2013, un piège à beaufs.
geradon
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le 28 mai 2013

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