Transcender les frontières pour retrouver et préserver l'innocence

Après s’être débarrassé de son enveloppe matérielle pour épouser totalement le corps autochtone et primitif de l’environnement de Pandora, Jake Sully se voit s’exiler avec Neytiri et ses enfants, après le retour du colonel Quaritch et de sa vengeance personnelle. Ce nouveau refuge se déroule dans le monde aquatique de Pandora, donnant à Cameron toute l’impulsion pour faire vivre au spectateur une nouvelle expérience du premier regard et d’un splendide émerveillant, comme si nous étions vierges à nouveau. La première force de l’œuvre est de nous faire voir cet aspect de Pandora par l’entremise des enfants du couple. Cela déploie la beauté innocente de la première fois et procure la candeur de ce frisson universel. Pour parfaire à cette stimulation, l’auteur utilise de façon composite le HFR, déjà expérimenté par certains de ces confrères, et le déploie de façon ahurissante et extensible. En effet, il varie entre le 24, 48 et 60 images/seconde en fonction de l’importance de la scène, pour faire ressentir la clarté et le bouillonnement de la matière. Cet outil n’est pas seulement là pour donner plus de fluidité, mais pour faire ressentir une fois de plus le bonheur originel de la découverte et d’un total dépaysement. Comme Jake devenant un Na’vi dans le premier en passant du réel au virtuel, ici le HFR, permet aux enfants de donner la sensation de la première fois, et donc également au spectateur. Vu que l’immersion est encore plus vertigineuse, car il n’y a quasiment plus d’avatar (donc d’alternance entre le monde humain et Na’vis, et donc d’images en prises de vues réelles), la technologie du HFR permet de pratiquer une traversée de nouvelle dimension dans un même espace et de faire ressentir la limpidité et les changements du mouvement à l’intérieur d’un même plan. Tout l’élément aquatique permet d’optimiser cette plongée sensorielle, car Cameron joue avec l’enfoncement et la descente entre la surface de l’eau, ses profondeurs et ses abysses et cette limpidité des traversées entre les diverses couches de l’océan est d’une force splendide. Le cinéaste nous met une fois de plus devant des images inédites qui repoussent sans cesse les frontières du cinéma.


Cette affluence et ce dépassement technologique sont là pour nous faire éprouver le monde et ses sensations, ressentir l’idée d’une nature fondamentale, à l’instar d’un Malick et de son The Tree of Life où les effets spéciaux servaient son discours philosophique sur les origines de notre monde. Et comme chez Malick, l’idée de retrouver un monde perdu et son exaltation primitive planent complètement dans le film. C’est ainsi que la puissance technologique cameronienne dévoile une nouvelle facette du septième art et c’est tout le sujet du récit dans lequel baigne le film. Les personnages veulent ou doivent sans cesse dépasser les frontières et les apprivoiser (l’idée du western est toujours prégnante), comme Jake et sa famille qui passent une frontière qu’ils ne connaissent pas entre leur peuple et celui des Metkayina ou les enfants qui par l’influence et la provocation des progénitures de la tribu insulaire se voient aller au-delà des limites autorisées.


Toute la forme d’apprentissage reprend sens dans ce volet, car avec cet environnement, les personnages doivent apprendre à s’acclimater à leur environnement, à tenir sa respiration longtemps sous l’eau, à nager longtemps, à domestiquer des banshees cette fois aquatique, de nouveaux rituels qu’il faut respecter, etc. La dimension infantile multiplie le récit initiatique et la curiosité de connaître au plus près les choses. Le regard se transcende également, car Cameron donne le point de vue aux animaux, à l’image des Tulkuns, des cachalots qui sont les frères et sœurs spirituels des Metkayina, et qui sont au centre de la narration, car chassés et poursuivis par les humains. Le cinéaste pénètre leur regard, on voit même le point de vue d’une baleine s’étant lié d’amitié avec l’un des fils Sully. Le « I see you » passe alors également les frontières d’une connexion permanente entre le spectateur et le film, les Na’vis et l’environnement qu’ils pénètrent. C’est ce qui définit la voie de l’eau évoquée par la spiritualité des Metkayina, une naissance et une mort perpétuelle. Le cas de Kiri (adoptée par Jake et Neytiri) est révélateur, car elle est jouée par Sigourney Weaver et cette dernière interprétée sa mère, c’est-à-dire la Docteur Grace Augustine, la scientifique du premier volet. De nouveau, le numérique (pour l’exemple cité, c’est grâce à la performance capture) permet de donner cet élan vital et la porosité des frontières pour laquelle Cameron a toujours été sensible.C’est sa façon également de montrer que les formes sont dans des états différents, car elles sont dans un changement constant et il faut donc sans cesse la redéfinir.

Le réalisateur filme également une apocalypse à venir, car très rapidement, la joie d’une constitution familiale et de son épanouissement est rapidement désenchantée par le désespoir de l’humanité. Il y a alors une forme d’urgence qui s’enclenche dans la transmission inévitable de l’œuvre, car il est clairement question de cela au vu de la dimension dynastique dans laquelle s’incarne Avatar. L’importance de la famille et de la passation sont essentielles, mais aussi de la place d’un membre dans sa famille. Par exemple, Lo’ak se voit sans cesse remis à la place du fils moins prestigieux que son frère aîné Neteyam, Kiri est la fille adoptive et ne se sent pas totalement Na’Vi, car elle est la fille d’un avatar ou encore Spider est un humain, tiraillé entre sa famille adoptive Na’Vi et son père (sans qu’il ne le soit directement) le colonel Quaritch. Le cas de ce dernier est aussi intéressant, devenu un avatar Na’vi auquel il a implanté ses souvenirs humains, il n’est plus le père biologique, mais devient le père spirituel de Spider. De plus, peut-on se demander s’il est vraiment Quaritch ? Toute la scène où il écrase le crâne de son propre cadavre humain montre cet affranchissement des gènes et les interrogations transhumanistes auquel se prête l’univers d’Avatar. Ainsi, des comédiens comme Stephen Lang (Quaritch humain/Quaritch Na’vi) ou Sigourney Weaver (Grace/Kiri) sont rebootés dans des nouveaux rôles et qui gardent une forme de perpétuation de leur ancienne forme.


Le sentiment de différence est aussi au cœur du récit, notamment dans le choc des cultures entre la famille de Jake et les Metkayina qui avant de les accepter intégralement, pointent leurs différences physiques. Ce choc des cultures met en appuie un point de vue plus profond des indigènes (et Jake n’a plus de lien avec sa carrière militaire et son humanité), les humains deviennent réellement des intrus, alors que dans le premier, c’était d’abord leur de point de vue qui nous faisait fouler Pandora. En parlant de Jake, la posture du père devant protéger sa cellule familiale est prégnante, mais le discours va plus loin que cela, car l’auteur cherche une tension dans la position que doit garder le père, mais aussi les autres personnages. On peut sentir cette idée par le fait que les protagonistes hésitent régulièrement à rester à la surface ou plonger dans l’océan, rester au-dessus ou en dessous de l’eau. Tout se passe dans cette frontière et le récit invite au bout d’un moment les personnages à engager et assumer leur position et leur conduite. C’est le cas par exemple de Lo’ak, qui après la mort tragique de son frère Neteyam, endosse le rôle du grand frère, mais surtout est assuré d’être dorénavant un adulte et plus un adolescent, jusqu’à pouvoir lui-même aider, sauver et protéger son père. Également comme Kiri, qui grâce à ses forces mystiques avec la nature, sauvent Neytiri et Tuk. Même Spider repêchant son père malgré le rôle d’ennemi que ce dernier incarne, mais qui laisse l’enfant dans une sublime incertitude : il retourne vers les Sully alors que Neytiri le rejette en partie (et cela dès le début du récit, car Spider est un humain), mais il ne peut pas non plus rester avec son père. C’est pourquoi Cameron n’hésite pas à utiliser des carcans hollywoodiens classiques qui peuvent apparaître naïfs, pour en donner son versant sombre et violent. Ce contraste permet au final de donner un très beau message, car le rôle de Jake est de protéger sa famille, mais au final, il veut protéger l’innocence. Ses enfants incarnent l’innocence, et en même temps, ils peuvent la dépasser en prouvant qu’ils peuvent sauver leurs géniteurs ou parents adoptifs. Mais cette innocence peut se perdre tragiquement comme le souligne la mort de Neteyam, et Cameron voudrait qu’elle puisse être préservée.


C’est aussi ça le message de l’auteur, dépasser et transcender les frontières pour retrouver une innocence, mais surtout la garder intacte, à la manière des deux parents qui se remémorent le souvenir à la fois simple et terrassant de leur enfant s’amusant dans l’eau.

SimBoth
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le 26 déc. 2022

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Simon

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