Les frères Coen font partie de ces quelques cinéastes mythiques encore en activité, ceux dont l’on attend les œuvres avec une impatience religieuse. Des comme ça, il n’y en a plus beaucoup : peut-être les vieux dinosaures que sont Eastwood et Allen, et l’icône de la culture pop, Tarantino. De nos jours, un film des frères Coen, c’est un peu comme une finale Federer-Nadal : ça n’arrive pas souvent, et l’on ne sait pas à l’avance si l’affiche va tenir ses promesses.
Alors, quand les frangins sortent leur premier film en trois ans, forcément, c’est un évènement.
Direction Los Angeles et les studios imaginaires de "Capitol Pictures". L’on fait la connaissance d’Eddie Mannix, directeur de la production de la majeure. Jonglant habilement entre son boss new-yorkais, le grand patron, sa femme et les débaucheurs de Lockheed Martin, Mannix doit trouver une parade à tous les déboires qu’un studio peut rencontrer : caprices de star, scandales divers, tabloïds à la chasse au scoop. Bon chrétien, le brave homme trouve même, de temps à autre, un instant pour se confesser.
Nulle mention de date, mais l’on commence à parler de téléviseurs et des bombes H – et la chasse aux sorcières bat son plein – permettant de situer le film sans trop de mal au début des années 50. Nous sommes, encore pour une dizaine d’années, en plein dans le bien nommé âge d’or d’Hollywood, période miraculeuse du cinéma qui n’a, hélas, rien connu de mieux depuis.
À l’évidence, les Coen ont tenu à recréer cette atmosphère si prolifique, où les majeures rivalisent d’ardeur pour réaliser toujours plus d’œuvres merveilleuses. Il se dégage de « Hail Caesar », et ce dès les premiers plans du film, une vitalité contagieuse – aussi bien chez le personnage principal, Mannix, que chez dans l’ambiance du studio. Les clins d’œil aux métrages de jadis et les différents lieux de tournage proposés ne manqueront pas de ravir le spectateur nostalgique : péplum mythologique à la DeMille, western de guitariste, ballet aquatique ou encore un excellent numéro de claquettes, rien ne manque. La reconstitution est aussi intéressante que réussie – en particulier pour les numéros musicaux, dont l’on sait les Coen assez friands.
Que l’on ne s’y trompe pas, le semblant d’intrigue du début du film disparaît bien assez tôt, et le dernier Coen s’assume pour ce qu’il est : une succession de petites histoires – presque un film choral – dont l’humour absurde rappelle avec délice leurs premiers films. Les situations sont assez loufoques (voire carrément débiles), et les personnages ne sont pas hyper malins. Cette ambiance assez festive, couplée à l’aspect instructif et curieux de la "reconstitution historique" (qui n’a jamais rêvé de découvrir l’envers du décor ?), et à l’énergie irrésistible dégagée par le film, en constituent les principales forces. Les Coen s’amusent, cela se voit, et leurs acteurs également. On retrouve dans un casting assez incroyable des réguliers des frères, tels George Clooney, Josh Brolin et l’immanquable Frances McDormand, et des nouveaux venus indispensables, comme l'exquis Ralph Fiennes.
À la fois film hommage aux grandes heures désormais révolues du septième art et parodie de la vie frénétique et débauchée des grands studios d’Hollywood, « Hail Caesar » constitue pour les Coen un retour réussi à leurs œuvres les plus drôles : les films sur les idiots. Il permet également de se représenter Richard Burton en George Clooney, de remarquer que Channing Tatum est bien trop épais pour faire un danseur de claquettes crédible, et de se demander ce qu’aurait donné Ricky Nelson dans un mélodrame sentimental aux dialogues précieux.
Would that it were so simple.