Toute chose à une fin, avec Le Paradis blanc de l'enfer, la série Baby Cart trouve la sienne et il était grand temps ! Avec le départ de Kenji Misumi, à l'issue du remarquable Le territoire des démons, la franchise ne perd pas seulement son papa cinématographique mais également toutes ses ambitions artistiques. Et ça, c'est bien plus grave. Exit donc le mariage, plus ou moins habile, entre une forme populaire (exploitation nippone, western italien) et un fond plus classique (réflexion digne du chambara), entre des velléités délirantes et une mise en scène exaltante, pour tendre vers une bisserie pur jus, longuette et sans saveur.


Tout au long de ses cinq épisodes, et même durant l'intermède de Buichi Saitô, la série fut d'une qualité homogène, faisant prospérer joliment un univers cinématographique unique, au sein duquel les notes de fantaisie, d'outrance et de grotesque résonnaient harmonieusement. Si une telle prouesse fut possible, c'est grâce à l'excellent travail d'adaptation réalisé, tant sur le plan de l'écriture que de la réalisation. Avec Le Paradis blanc de l'enfer, on sent immédiatement la volonté de se démarquer de la ligne directrice tracée par Misumi : même si on retrouve les principaux codes de la série (le héros badass, le gore, etc.), on lorgne clairement vers le divertissement bas de gamme, où le spectaculaire prime sur tout le reste.


Pour y parvenir, Yoshiyuki Kuroda et son équipe s'inspirent de l'épisode le plus funny de la série (L'enfant massacre) et accentuent les filiations avec les autres univers cinématographiques. Cette fois-ci, on ne se contente plus de flirter avec le western spaghetti et le Pinku eiga, on pioche ouvertement dans tout ce qui constitue le cinéma populaire mondial ! Bien sûr, dans ce type de production, il est courant de voir des ponts se créer entre différents genres populaires, mais faute de pouvoir s'appuyer sur une mise en scène soignée et un scénario consistant, la série perd en rigueur formelle et tombe dans la parodie.


Ainsi, pour retrouver l'esprit ludique du second opus, le film se délaisse de ses particularités nippones (la philosophie autour du bushido est oubliée, le chambara se résume à des gus qui tiennent un sabre, etc.) et assume son côté "beat'em all" : les méchants se succèdent et Ogami taille dans la barbaque à tout va. Seulement, ce qui aurait pu devenir un sympathique film d'action, s'avère être une bête compilation de ce qui se fait ailleurs.


Sans se soucier de la cohérence et sans véritable travail de fond, Kuroda pioche, copie et empile : comme les cowboys sont beaux sous la neige, les samouraïs doivent l'être aussi, quitte à leur faire chausser les skis (préfigurant nos Bronzés, qui sait!), on retrouve donc l'univers neigeux du Grand Silence ; comme la blaxploitation est férocement cool, on reprend la playlist funky de Shaft ; comme James Bond est méchamment à la mode, on lui pique ses vilains, ses séquences purement spectaculaires et un soupçon de gadget, ça ne fait jamais de mal et ça peut amener le chaland dans les salles...


Même si dans le lot tout n'est pas à jeter - le "grand n'importe quoi" parvient à nous arracher des sourires (comme ce "missile" (!) qui atterrit par mégarde sur la bobine d'une jeune donzelle) et le charisme de Wakayama électrise toujours autant la pellicule – on ne peut que regretter ce fatras indigne de Baby Cart, où le ridicule côtoie souvent le navrant. Si certaines idées pouvaient être bonnes, leur traitement déçoit fortement ! Par exemple, l'idée d'injecter une dose de fantastique est intéressante mais Kuroda ne parvient pas à véritablement l'exploiter : les séquences flirtent avec le kitsch, la progression des ninjas sous la neige est grotesque et casse affreusement le rythme. De même, vouloir donner une épaisseur aux adversaires d'Ogami est une chose judicieuse si on ne reprend pas le principe de l'épisode 2 : des méchants caricaturaux qui sont massacrés rapidement. Or, ici on s'attarde sur l'habileté aux armes des enfants de Retsudo, l'ennemi juré, exaltant notre attente d'un grand combat, pour finalement aboutir à une confrontation promptement exécutée. La déception du spectateur paraît inéluctable. Autre motif de frustration, cette fin ouverte, en prévision d'un éventuel nouvel épisode, nous laisse immanquablement sur notre faim.


Le principal problème du Paradis blanc de l'enfer est de vouloir s'inscrire au sein d'une franchise pour laquelle il ne semble pas avoir beaucoup d'affinité. Tout au plus, on peut imaginer un tel film inaugurer une série dérivée de Baby Cart, développant ainsi le côté parodique sans renier ses origines. Car ce qui en faisait la force, c'était bien cette relation père-fils qui s'écrivait en filigrane d'un univers fou et sanglant. Ici, elle n'existe plus et ce n'est pas la dernière séquence qui réunit enfin dans le cadre le loup et son louveteau qui changera la donne. Leur triste départ dans un univers désertique marque la fin symbolique d'une franchise qui méritait sans doute un peu mieux.

Procol-Harum
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le 19 nov. 2022

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Baby Cart 6 : Le Paradis blanc de l'enfer
Julien_Belfort
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Et c'est bien dommage de finir sur une fausse note.

Après 5 films sans faute , ce 6eme et dernier commençait bien , on nous présentait un climax des plus appétissant... ....Mais hélas tel une malédiction le WTF japonais déboula... ....Des putains de...

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