Le film se termine, la lumière se rallume, le générique défile encore à l'écran sur du Simon & Garfunkel. Je me lève, je longe la rangée de siège en laissant courir ma main sur les dossiers au rythme des accords de basse de la chanson, pof, pof, pof ... Arrivé dans l'allée c'est l'embouteillage, je patiente en fredonnant des petits "houhouhou houhoutoupidoupou" imperceptibles et j'attends la descente de notes à chaque refrain pour dévaler les marches par quatre. Ça emmerde un peu tout le monde derrière mais bon, comme le mec dans le film quoi. Pas grave, je sors mon mouchoir, l'approche de mon nez d'un petit geste chorégraphié, et au solo de trompette je donne tout.
Je déboule dans le hall, les hauts parleurs crachotent Bad de Michael Jackson. Facile. Je me retourne vers la personne qui m'accompagne et, tout en lui parlant je poursuis mon chemin en moonwalk vers la sortie, l'air de rien. Manque de bol je percute deux mastards qui commencent à mal le prendre. Je leur file des claques au rythme des percus de la chanson, avec la régularité ... d'un essuie-glace tiens. Splafff ... splafff ... splaff ... splafff ... splafff ... Un peu répétitif mais ça passe, dans le film ça les gênait pas d'ajouter des mouvements pas naturels pour coller à la musique. Les deux relous sont en PLS, je remonte mon entrecuisse en leur lançant pile au bon moment un "alors, qui est méchant ?" fort à propos. Ouais dans le film non plus la VF ça rendait pas très bien.
Je repars en slalomant entre les bornes automatiques avec la technique "coup d'épaule - pied glissé", comme le méchant ringard dans la bande-annonce de MM&M3 (sur Bad déjà), s'il fallait une preuve que synchroniser les déplacements d'un personnage sur la musique n'est pas forcément une bonne idée.
Dehors les gens débriefent le film en petits groupes parfaitement disséminés sur le parvis comme sur une gigantesque piste de danse. Du karaoké d'à côté parvient très distinctement une voix reprenant comme elle peut François Feldman, Les Valses de Vienne. C'est bon j'arrête y'a des limites.
Bref, synchroniser mise en scène et couverture musicale ça marche à peu près partout, tout le temps, quel que soit le morceau ou la scène, même sans faire exprès. Je sais pas y'a un genre de biais cognitif avec ça, pas besoin d'en faire des caisses.
Chorégraphies forcées donc, romance mièvre, gangsters teubés, héros lisse et mutique (qui ne l'ouvre que pour placer des répliques de films dont on te passe les extraits plus tard pour que tu comprennes), flashbacks sépias qui donnent dans le pathos infâme, gags qui tombent à plat (Michael Myers, franchement) ... la première moitié du film est une souffrance, aussi agaçante et humainement à côté de la plaque que le Whiplash de Chazelle avec un héros similaire.
Heureusement, le ton change à mi-parcours. Le film devient plus tendu et plus violent et, si ça n'est pas un gage de qualité en soi, ça a le mérite de mettre Bébé sous pression. Il n'est donc plus "d'humeur rose à paillettes", n'a plus le coeur à mimer des solos de trompette, ni le temps de valser dans un lavomatic ou avec des lampadaires. Le film reste musical, mais on change de registre. Et à la place des chorégraphies pétées c'est le montage qui prend la relève pour coller au tempo des morceaux.
Et là ça défonce.