Ce soir, je veux vous parler d’une escroquerie. Le film Bac nord, sorti en plein été, a fait l’effet d’une bombe. Au moins d’une bombinette dans la presse, plaçant Marseille sous les feux des projecteurs nationaux. Bac nord est un film de flics de droite, c’est-à-dire un film qui glorifie les flics comme des chevaliers blancs, sans peur et sans reproche, des hommes droits, fiers, forts, indispensables, abandonnés, seuls, dernier rempart contre le déferlement de sauvagerie que la société et ses marges minoritaires, ses immigrés et ses pauvres renferment en eux-mêmes.
Soit.
Il en faut (il paraît).
Ce qui est vraiment gênant, c’est pas tant l’histoire en elle-même. Ni d’ailleurs le jeu de ses acteurs, plutôt convaincants et attachants (mention spéciale à Kenza Fortas) malgré des profils manichéens et caricaturaux. Ni à la photo dont le premier des mérites est de mettre en avant une Marseille inédite, faite de toits et de carcasses d’immeubles, de cités, de béton, de tours et de bitume, aussi stériles que chauffés à blanc, brutale, imposante et impressionnante.
Non, ce qui est gênant, c’est le propos qui entoure le film. Parce que Bac nord commence en expliquant qu’il est inspiré d’une histoire vraie mais que le film en lui-même n’est pas un engagement dans une affaire judiciaire en cours. Et Bac nord s’achève en présentant les destinées de certains protagonistes en texte plein écran, comme il est de tradition de le faire à la fin d’un biopic, histoire de préciser les trajectoires individuelles après la fiction. En dépit de l’alerte, l’ambition est de dresser un portrait quasi réel d’une situation problématique.
Sauf que : dans la vraie vie, le fait divers dont le film s’inspire et se permet de reprendre les passages télé des personnalités politiques de l’époque n’a rien à voir avec le script qu’on nous diffuse. Dans la vraie vie, l’histoire a défrayé la chronique pendant des semaines. Il n’est pas question d’une petite unité qui magouille pour obtenir un budget que la hiérarchie ne peut octroyer, dans l’objectif désintéressé de glaner des infos pour une enquête de la plus haute importance. Dans la vraie vie, on parle de racket organisé, on parle d’habitude au sein de ce service de brigade anti criminalité de Marseille depuis des années, on parle d’agents qui ont livré un indic à ses meurtriers parce que ses révélations gênaient certains poulets, on parle d’infractions pénales « systématiques (...) allant bien au delà d'un simple laisser-aller professionnel ou d'un manque de rigueur », on parle de dix-huit (18 !) officiers renvoyés en correctionnelle, on parle du parquet qui fait appel de la décision de première instance.
Donc non, on n’est pas sur le terrain de chevaliers blancs qui ont risqué leur carrière pour démanteler un exceptionnel trafic de drogues. La réalité n’a rien à voir avec cette fiction.
Et si le film revêt un intérêt cinématographique, grâce entre autres à son dynamisme, son jeu d’acteurs et sa réal’ (mais moins que Les misérables de Ladj Li qui, dans le même genre, proposaient une histoire simple mais authentique sans revendiquer une éventuelle et fallacieuse histoire vraie comme calque scénaristique), sa mise en scène médiatique, à Cannes, hors compétition, au moment où l’affaire qui a abouti à la dissolution de la Bac nord n’est pas jugée définitivement, l’ambition de mélanger dans l’esprit des gens la fiction et le réel, de présenter les policiers pour ce qu’ils ne sont pas, est une escroquerie intellectuelle qui confine à la malhonnêteté.