le 18 août 2021
Nerveux, mais trop peu ambiguë
5/10, car pour faire vite, on est pris dedans, c'est nerveux, on sait mettre de la tension, c'est parfois drôle, mais pas plus parce que le fond semble tout de même n'aller que dans un sens.Je ne...
Application SensCritique : Une semaine après sa sortie, on fait le point ici.
[Critique contenant des spoils]
Bon, d’abord la polémique…
Oh la belle polémique. BAC Nord ferait le jeu de l’extrême droite ? Serait mensonger, évoquant une affaire pas encore jugée et falsifiant les faits ?
Commençons par la première allégation : refuser de voir une certaine réalité, de dire les choses, voilà précisément ce qui a fait monter le FN devenu RN. Est-ce que certains quartiers sont devenus des zones de non droit, où la police n’ose même plus mettre les pieds ? Oui, c’est une réalité. Est-ce qu’on demande à la police de « faire du chiffre », sans lui donner les moyens de résoudre les problèmes de fond ? Oui, c’est une autre réalité. Est-ce que certaines actions de nature politique, pour l’image, nuisent à la résolution de ces problèmes ? Oui, c’est encore vrai. Cédric Jimenez ne montre pas ce qu’est la police en France, il montre un aspect de la réalité. Fidèlement ? C’est là qu’il est difficile de trancher, mais tout ce qui est montré là m’a semblé crédible. Le réalisateur et son trio d’acteurs se sont abondamment documentés, semble-t-il, pour dresser ce portrait. L’avis d’un flic de la BAC Nord m’intéresserait au plus haut point.
Jimenez ne montre, certes, qu’un côté, celui de la police. C’est ce qu’on appelle un parti pris, et celui-là se défend : il rend le film plus immersif, la cité n’étant vue que comme un monde hostile, peuplé de spectres encagoulés et armés. Sans doute, tous ces visages masqués sont-ils un peu too much, mais on peut l’accepter comme une vision déformée de la réalité, en considérant que ce qui nous est donné à voir est en quelque sorte le regard subjectif de ces policiers sous tension.
Le propos, ici, n’est donc pas de comprendre « les quartiers » - ce serait un autre film - mais de comprendre les policiers qui échouent à y faire régner l’ordre. Ceux-ci sont pris entre deux feux : une hiérarchie qui fait mine de ne pas voir que les moyens employés sont à la limite de l’illégalité, c’est le fameux « démerdez-vous, je ne veux pas être au courant » ; et un monde que la police n’impressionne plus du tout, qui déclare d’ailleurs dans une vidéo « c’est nous la police ! », qui traite les fonctionnaires de « fils de pute », même à l’âge de douze ans.
J’ai envie de dire : bon courage, les gars. Ce qui m’épate, c’est qu’il y ait des volontaires pour faire ce boulot « pour 1800 € / mois », comme le dit l'agent de l’IGPN. Surtout lorsqu’on assiste, médusé, à l’assaut d’une violence sidérante, scène centrale du film. Les gars qui font ça risquent clairement leur vie. Est-ce qu’on se rend bien compte de ce que ça signifie ? Qu’un film nous rappelle cette réalité, je trouve ça plutôt positif.
Ce qui ne me fera pas oublier qu’il y a aussi des flics violents, racistes, sexistes, abusifs, etc. Prêtons un peu de discernement au spectateur, plutôt que de se scandaliser dès qu’il s’agit d’un sujet sensible…
Ensuite, le film serait mensonger car il y aurait bel et bien des ripoux dans cette affaire en cours de jugement. C’est vrai que le panneau d’ouverture précise qu’il s’agit d’une œuvre de fiction inspirée de faits réels (le service juridique est passé par là) mais qu’en clôture on nous informe de ce que sont devenus les trois personnages dans la vraie vie. Assez manipulateur. Mais le propre du cinéma n’est-il pas d’être manipulateur ? Revoyez Young Mr Lincol de John Ford… Dans le même ordre d'idée, Jimenez insère des images réels de Manuel Valls au JT, ce qui accrédite l'idée que ce qui est montré là s'est réellement passé. Connaissant mal les dessous de cette affaire, cela ne m’a pas gêné. Encore une fois, je ne doute pas un instant que les vrais ripoux existent, même si c’est trois-là sont visiblement victimes d’une tragique erreur judiciaire.
Voilà pour la polémique. Elle n’a pas lieu d’être car le film ne prétend pas dire la vérité, ni sur la police ni sur les quartiers. Juste mettre en lumière une certaine part de cette réalité.
Cette réalité est terrible. Il est trop facile de pointer « la démission de l’Etat », selon le discours très politiquement correct. Que feriez-vous si vous aviez à gérer cette situation ? Le drame, c’est qu’on ne voit aucune solution au point où on en sont venues les choses. L’action de la police paraît bien dérisoire dans ces zones surarmées…
Parlons à présent cinéma car, après tout, c’est d’abord là-dessus qu’on devrait juger ce BAC Nord. Le film se divise en trois parties : le quotidien du trio de flics et leur préparation de la grande opération, la dite grande opération, l’incarcération du trio deux mois plus tard.
Avant
La première partie ne fait pas dans la finesse : nos trois flics sont quand même très beaufs. Je ne vais pas énumérer ici tout ce qui signale à mes yeux le beauf pour ne pas froisser l’éventuel lecteur qui s’en sentirait proche. Mais après tout, être flic à la BAC requiert-il subtilité, culture, profondeur philosophique ? Ce qu’on cherche, n’est-ce pas plutôt des gars certes bas de front mais qui n’ont pas peur d’y monter (au front) ?
Si le film est assez gros sabots, c’est en somme à l’image des protagonistes. On peut donc dire que la forme est cohérente avec le fond. Les voyous sont des gros durs menaçants, la hiérarchie est hypocrite et lâche, le ministère ne veut que faire du chiffre, l’IGPN est planquée et incapable de comprendre le terrain, les collègues refusent de témoigner de peur des représailles de la hiérarchie. Ok. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’on ne va pas à l’encontre des idées reçues du spectateur.
Gros sabots, mais pour autant pas si manichéen que ça. Le patron est le méchant avec son côté planqué, mais il participe tout de même à la grande opération où il y a des coups à prendre. Nos trois flics sont les gentils, mais pas tant que ça : ils préfèrent s’attaquer aux faibles que sont les petits revendeurs de tortues qu’aux gros bonnets, ont la main leste (Yass va quand même frapper son voisin qui le dérangeait !), négligent leur mission quand ça les arrange, utilisent le gyrophare pour des usages personnels, se font offrir l’addition quand c’est possible, usent du shit qu’ils récoltent pour leur consommation personnelle, etc. Tout cela n’est pas joli-joli. Ce portrait un peu nuancé mettra d’autant mieux en valeur l’assaut central du film, où ils se comportent héroïquement – je n’ai pas peur de le dire. Des zéros qui deviennent héros lorsque les circonstances l’exigent : plutôt intéressant.
Plus embarrassants sont les problèmes de scénario : par exemple, comment croire que la petite indic’ ne finisse pas rapidement avec une balle dans le crâne, alors qu’elle fréquente un flic au grand jour et que « qu’est-ce tu crois, tout se sait ici » ? Voilà qui m’a semblé totalement invraisemblable. Autre interrogation : est-ce que des gens qui bossent ensemble toute la journée se font des barbecues ensemble le week-end ? C’est possible, mais j’ai tendance à penser que les relations sont probablement plus professionnelles, moins amicales que ça dans la vraie vie.
Plus gênant encore est la laideur de l’image et une mise en scène qui ne recule pas devant les poncifs. Cela, je ne l’ai pas beaucoup lu sur SC, on devrait pourtant s’y intéresser non ? Laideur de l’image : par moments, j’ai l’impression de voir une image de jeu vidéo. Vous savez, cette image trop contrastée, crue, qui semble n’avoir pas été étalonnée, qu’on a d’ailleurs sur les écrans plats que tout le monde recherche, pas compris pourquoi… Poncifs de la mise en scène : le côté « clip », quand vous avez une action répétitive qui est montrée sur de la musique extra diégétique. Un truc qui fait immédiatement sombrer un film dans le banal, voire la médiocrité. Là, c’est quand ils récupèrent des sachets de drogue en centre ville.
Tout cela fait que j’ai parfois trouvé ce BAC Nord bien en phase avec le lieu où je l’ai vu : dans un Pathé, ces temples du commerce, où la place est chère (près de 15 € !), où il n’y a quasiment plus de personnel, où l’on vend des pop corn et du Coca et où il faut se taper un long tunnel de pubs avant que le film ne commence… Faut plus aller là.
Pendant
Et puis arrive cette séquence à couper le souffle, la descente des flics. Jimenez est sans doute là dans son élément car c’est magistralement mené. On constate ébahi comment toute la cité fait front contre nos flics, jusqu’à un gamin qui va chercher un couteau de cuisine pour planter Yass ! Cette scène du gamin répond à celle où notre trio avait embarqué un autre petit dur qui, pas du tout impressionné, les traitait de tous les noms. De même que l’incursion « de tous les dangers » dans la cité avait été annoncée par une scène précédente : celle où le gros caïd dit à Greg : « n’entre pas... ou bien alors, entre ». Une menace voilée qui fera repartir Greg et ses deux potes « la queue entre les jambes », sous les insultes.
Sur ce long moment oppressant, Jimenez réussit son pari : nous faire ressentir de l’intérieur à quel point il est héroïque de se lancer dans une telle opération. 20 minutes qui font la grande force de ce BAC Nord.
Après
Et puis il y a la mise en cause de notre trio pour trafic de drogue, et là le film retombe salement. Déjà, le scénario comporte des ellipses : Qui a provoqué cette descente de l’IGPN ? Un micro avait été posé dans la voiture, par qui ? Et surtout en quoi était-ce compromettant car, au contraire, en écoutant ces conversations on aurait dû constater que c’était pour la bonne cause que le trio se livrait à cette récolte de came.
L’interrogatoire de l’IGPN est bien mis en scène, quoique un peu caricatural : je ne suis pas sûr que des flics, même sanguins, se montreraient aussi agressifs avec quelqu’un de l’IGPN. Mais le pire est à venir : toute la séquence en prison, avec notre Greg qui se fait saigner les poings de rage en frappant contre les murs, se rue sur son gardien, etc. S’y ajoutent quelques moments mélos (l’entrevue de Yass avec sa femme, Antoine qui pleure en voyant son indic’ menottée) qui n’ont rien à faire là. Et puis le pompon : nos trois gars quasi sanctifiés avec leur parcours inscrit en lettres blanches à la fin du film.
Forcément, on compare
Bien des points communs avec Les misérables sautent aux yeux, à commencer par ce trio de flics qui doit se coltiner un quartier difficile - le mot est faible. Si les deux scènes d’assaut dans la cité sont sur un pied d’égalité (celle de Ladj Ly m’avait aussi sidéré), le film de Jimenez est nettement moins brillant : moins inventif, moins poétique, moins riche de significations, moins bien mis en scène.
Une victoire par KO : j’avais gratifié le premier d’un 8, impossible d’aller au-delà de 7 pour ce BAC Nord. Même KO face à un autre film récent, traitant de la lutte contre la drogue : La loi de Téhéran ramène le film de Jimenez à sa juste proportion : celle d'une certaine banalité.
Créée
le 6 oct. 2021
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