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Ballad of a Small Player - Colin Farrell, l’homme qui perd tout — avec élégance ...

Avec l'adaptation du roman trouble et feutré de Lawrence Osborne, Ballad of a Small Player marque le retour d'Edward Berger à une veine plus intime après Conclave.

Le film suit Lord Doyle (Colin Farrell) — faux aristocrate, vrai escroc en fuite — qui hante les casinos de Macao, noyé dans les néons et les dettes. Colin Farrell y livre une performance fascinante : celle d’un homme qui a tout perdu, sauf la lucidité de sa propre déchéance et le désir de rédemption. Un film hypnotique, à la fois tragédie morale et poème visuel sur la perte.


Le joueur et le mirage


Chaque mise, c’est un morceau de moi que je perds », lâche Lord Doyle dans un souffle, au bord d’une table de baccarat.

En une phrase, tout est résumé : Ballad of a Small Player n’est pas un film sur le jeu, mais sur l’illusion du contrôle — cette foi absurde qui pousse l’homme à croire qu’il peut négocier avec le destin.


Edward Berger filme la dérive de Doyle comme une descente silencieuse vers l’abîme. Les casinos de Macao deviennent des cathédrales de lumière, saturées de reflets et de prières étouffées.

La caméra, fluide et sensuelle, suit Farrell comme un fantôme : costume froissé, regard fiévreux, gestes ralentis d’un homme qui n’a plus de sol sous les pieds.

Dans une scène bouleversante, il confie à un croupier :


Les dieux du hasard ont cessé d’écouter. Mais je continue à parler, parce que le silence me ferait perdre. »

Farrell y trouve l’un de ses plus beaux rôles récents : un visage à la fois arrogant et brisé, désirable et pathétique. Il joue la chute sans chercher la rédemption.

Face à lui, Fala Chen (Dao-Ming) apparaît comme une apparition — une possible porte de sortie, ou peut-être un simple mirage.

Berger laisse planer l’ambiguïté : est-elle réelle ? ou une projection d’un esprit qui se dissout ?

Du roman au film : l’ombre et la lumière

Le roman de Lawrence Osborne, publié en 2014, offrait un récit acide, ironique, presque clinique, raconté du point de vue de Doyle lui-même.

Berger choisit un autre angle : il remplace le cynisme par la mélancolie, l’analyse par la sensation, la voix par l'atmosphère.


On y perd l’acidité du narrateur — ce ton d’observateur cynique d’un monde qu’il méprise (il déteste le champagne et le cigare qu'il consomme pourtant simplement car luxueux) autant qu’il envie — mais on y gagne un vertige visuel, une lenteur presque hypnotique.

Là où Osborne disséquait l’imposture morale (et la psychologie d'un menteur), Berger en fait une métaphore visuelle de la solitude d'un fantôme.

Le Macao du livre, grouillant et poisseux, devient à l’écran un espace spectral — un purgatoire de néons et de visages flous.


Fala Chen, dans le rôle de Dao-Ming, ajoute une dimension quasi mystique : apparition ou mirage, elle incarne la tentation du salut, ou peut-être simplement le reflet de la conscience de Doyle.


Le roman est sec, européen, ironique. Le film, lui, est sensuel, asiatique. Deux œuvres qui racontent la même histoire : l’effondrement d’un homme, mais avec des armes différentes – le mot contre la lumière. Le film, comme son héros, oscille entre lucidité et hallucination.


Berger après Conclave : du Vatican à Macao


Après Conclave, thriller politique sobre et tendu situé dans les couloirs du Vatican, Edward Berger continue d’explorer les lieux du pouvoir — mais ici, c’est le pouvoir intérieur, celui du vice et du mensonge, qu’il ausculte.

Dans Conclave, le secret était institutionnel ; dans Ballad of a Small Player, il devient personnel.

Même rigueur formelle, même sens de la tension contenue, mais cette fois au service d’une tragédie intime.

Berger passe du marbre froid de Rome aux lumières humides de Macao, sans jamais perdre ce qui fait sa signature : la maîtrise du silence et du non-dit.


Farrell - Une résonance avec A Big Bold Beautiful Journey


Difficile de ne pas rapprocher Ballad of a Small Player d’A Big Bold Beautiful Journey, autre film de Colin Farrell. Leur sortie quasi simultanée donne à Colin Farrell une année paradoxale : d’un côté la perdition, de l’autre la renaissance.

Deux rôles en miroir : dans le drame romantique teinté de fantastique, il joue un homme qui revisite ses souvenirs pour retrouver le sens de sa vie. Là où Ballad of a Small Player s’enfonce dans la nuit, A Big Bold Beautiful Journey cherche la lumière.


Le parallèle entre les deux est fascinant : deux hommes à la croisée des chemins, deux quêtes d’identité — l’un tente d’échapper à son passé, l’autre veut le réparer.


Dans Ballad, Farrell est un menteur qui joue sa vie sur un coup de dés ; dans Journey, il devient un homme sincère, qui veut enfin croire à la possibilité d’un avenir.


J’ai menti toute ma vie, dit-il, et parfois, c’était la seule chose vraie que j’avais.

Une ligne qui résume à elle seule le film, et sans doute le personnage : l’élégance dans la chute.


Mais dans les deux, le thème de la seconde chance rôde : peut-on recommencer ? peut-on se sauver ? Farrell, par sa douceur mélancolique, relie ces deux pôles — la ruine et la rédemption — avec une subtilité rare.

Doyle est un homme qui joue sa vie sur un mensonge ; David (dans Journey) veut retrouver sa vérité.


Mais c’est ici, dans cette errance crépusculaire, que Farrell trouve son terrain le plus fertile.

Son visage porte le poids du monde — celui d’un homme qui comprend trop tard qu’il n’y a pas de victoire, seulement des pertes plus ou moins belles.


Entre illusions et vérités


Les deux films témoignent d’un acteur au sommet de sa maturité : capable d’incarner la chute et la grâce, souvent dans le même regard.

Si Ballad of a Small Player impressionne par sa virtuosité formelle et sa noirceur hypnotique, A Big Bold Beautiful Journey tente, plus maladroitement peut-être, de retrouver l’émotion perdue.

En un sens, ils se répondent : deux miroirs inversés d’un même personnage — celui d’un homme qui ne sait plus où se trouve sa vérité.


Le paradoxe final : l’offrande du flambeur


La fin du film renverse tout : le joueur ne perd plus, il choisit de rendre.

Après une nuit d’ivresse du jeu et de tension, Lord Doyle réalise l’impossible — il "sur gagne". Le hasard, ce fantôme muet qui lui chuchotait depuis peu, lui accorde enfin le miracle : deux derniers gros coups, monumental, presque absurde.

Mais là où tout autre joueur aurait célébré la victoire, Doyle s’éloigne du casino, marche seul dans les ruelles encore sombre de Macao, ses valises pleines d’un argent qui lui brûle les doigts.


La caméra le suit sans un mot, dans une lumière d’aube humide. Il remet d’abord à ses créanciers ce qu’il leur doit, un à un, comme pour solder son passé. Puis il monte vers un petit temple. Là, dans un geste d’une simplicité bouleversante, il brûle ses gains, lentement, méthodiquement, billet après billet, comme une offrande.


Berger filme la scène avec une pudeur mystique : le bruit du feu se mêle au vent, le visage de Farrell s’éclaire d’un mélange de douleur et de sérénité.

Le flambeur flambe une dernière fois, mais cette fois, c’est lui qu’il purifie.

Il ne joue plus pour s’oublier, mais pour se défaire de ce qu’il est devenu.


Cette conclusion, d’une force presque religieuse, fait de Ballad of a Small Player non plus une tragédie du vice, mais une fable de rédemption par le feu. Doyle, le menteur, le fuyard, finit par tout rendre — y compris son masque (et ses gants en cuir porte bonheur).


Et dans la scène post-générique, Berger offre une coda ironique et poétique : Farrell, désormais apaisé, danse lentement avec celle qui fut sa poursuivante, dans une salle de cérémonie vide. Betty accepte enfin, de baisser sa garde, et de danser avec ce faux Lord qui utilisait cette approche (d'inviter ses victimes à danser puis à diner) lorsqu'il était pris ...

Verdict - Un requiem pour les joueurs, les menteurs, et ceux qui continuent à croire à la chance.


Edward Berger signe un film élégant et tragique, où chaque plan semble caresser la décadence.

La mise en scène séduit, la performance de Farrell envoûte, mais le scénario se perd parfois dans la contemplation.

Malgré ces faiblesses, Ballad of a Small Player s’impose comme une méditation visuelle sur la perte, la solitude et l’illusion — un film à la beauté empoisonnée, qui hante longtemps après son générique.


Les meilleures répliques


Le film, malgré sa retenue verbale, regorge de phrases inoubliables, chuchotées entre deux verres, deux mains tremblantes, deux défaites :


J’ai menti toute ma vie, et parfois, c’était la seule chose vraie que j’avais.
Macao est une cathédrale sans dieu, mais avec des cierges en plastique.
On ne joue pas pour gagner. On joue pour disparaître lentement.

Autant de répliques qui traduisent l’essence du film : un monde où la beauté se confond avec la perte, et où chaque phrase semble être prononcée au bord du gouffre.

Dutch-Unkle
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