C'est sans aucun doute l'ambiance Burtonienne qui sied le plus à cet univers. Quand je pense au personnage de Batman, c'est cette esthétique qui me vient en tête instantanément, elle lui colle à la peau encore plus que son costume. Tim Burton a réalisé un bon blockbuster, mais il a avant tout réussi à dépeindre un univers. Sa Gotham City reste encore aujourd'hui celle qui a le plus d'identité, le plus de charme.
La nuit est omniprésente, la fumée s'échappe des bouches d'égout en dessinant un voile sur l'image, les détritus jonchent des rues peu accueillantes, et les lourds manteaux portés suggèrent le froid. Gotham est froide mais elle est splendide, sublimée par sa laideur, elle a l'allure théâtrale d'une ville de film noir. C'est ce qu'elle est. Burton la filme ainsi.

Et quelque part sous le clair de lune, le justicier pointe le bout de sa cape. Aussi sombre que la ville qui l'a vu naître, Batman éclate d'un charisme fulgurant. Il apparaît comme une ombre, comme une menace lui-même, en arrière plan, silencieusement et magnifié par la partition que le talentueux Elfman lui a associée. Il est montré comme un être inquiétant, qui, malgré ses airs de sauveurs, apparaît comme quelqu'un d'étrange, de mystérieux et de potentiellement dangereux. On n'a qu'à le lire dans les yeux de Vicky Vale, assise dans une Batmobile de toute beauté, regardant l'homme masqué avec un mélange d'inquiétude et d'admiration.

Dans toute cette noirceur transperce soudain un rival, jurant immédiatement par son visage blanc, et son fou rire tonitruant dans une ville qui semble ne jamais s'amuser. Le Joker apparaît, tel que je l'ai découvert enfant et qui n'a jamais cessé de me fasciner jusqu'alors, sous les traits d'un Jack Nicholson excentrique portant à merveille un rôle taillé à sa démesure.

Je ne peux m'enlever ces représentations, elles sont trop profondément ancrées dans mon esprit formaté depuis ma tendre enfance. Quand je pense au Batman de Burton, un souffle d'amour me traverse et je l'adresse à cette ambiance, à cette esthétique, à cette manière qu'a le réalisateur de mettre en valeur la ville et les personnages qui l'habitent.
Car une chose est sure, Tim Burton filme ici avec une certaine majesté. Les personnages et les situations prennent de l'ampleur devant sa caméra. Malgré le ton sombre de l'ensemble, nous sommes loin du réalisme de la trilogie de Nolan, et on le sent particulièrement du côté de la réalisation. Elle arrive à s’imprégner de quelque chose de très comics-book, dans sa manière de filmer les uppercuts, de gros flingues de manière rapprochée, ou avec ses nombreux jeux sur les ombres. Certains cadres ressemblent à des cases de bande dessinée, dans toute leur splendeur. Je pense particulièrement à la première apparition du Joker, avançant dans l'ombre pour finalement se dévoiler au grand jour en une punchline savoureusement écrite. Ou à cette Batmobile lancée à toute allure le long d'une route jonchée de feuilles mortes. C'est de toute beauté.
Et la musique, d'un Dany Elfman au sommet de son art, ne fait que transcender la force de ces images d'une impulsion musicale à t'en faire battre le coeur d'une excitation redoutable.

Le film a vieilli, dans le sens où l'on voit que c'est un style bien plus ancien. L'ensemble a une bonne odeur de vieux studios Warner, décorés avec soins, avec une utilisation fréquente de maquettes en tous genres. Mais plutôt que de nous sortir du film, cela ne contribue qu'à renforcer son ambiance et à ajouter au charme permanent de Gotham City. Il y a un côté fait-main, mais fait avec passion, et un travail dans les décors qui donne à la ville un cachet unique, celui d'une ville qui n'est pas assimilable à une ville réelle, mais qui est bien cette ville sortie d'un comics. Avec son élégance et son âme.

Devant ces images, devant ces musiques, je redeviens instantanément un gosse, fasciné par cet univers, par ce héros, ce véhicule, ce méchant. Et en partant de là, ce film ne peut que rester gravé dans mon coeur d'un amour indélébile.

Et pourtant, ce film n'est pas exempt de tous reproches, et il y a beaucoup de choses que je regrette. En premier lieu, et pas des moindres, c'est de constater avec tristesse à chaque visionnage à quel point le personnage de Batman est sous-exploité. Si les images le mettent en valeur, on ne peut pas en dire autant du scénario. C'est certainement la faute à des contraintes techniques : le costume de Batman étant d'une lourdeur et d'une rigidité légendaire, ne permettant pas de nombreuses scènes d'action ou une aisance dans les déplacements du héros. Mais dans les faits, on ne peut pas dire que Batman rayonne dans ce film. Oui, il arrête quelques bandits au début. Oui, il sauve Vicky Vale des griffes du vilain. Mais surtout, on le voit mordre la poussière dans de nombreux affrontements.
Batman encaisse des dommages, semble se battre difficilement, tombe, perd connaissance, échoue à de maintes reprises, se crash lamentablement à bord de son Batplane. Si j'aime dans l'idée que notre héros soit un homme avant d'être un "super"-héros, ce film ne le montre malgré tout pas assez en tant que héros. On aimerait croire à sa puissance, à sa classe, mais il semble parfois ridicule bien malgré lui.
Et la deuxième face de la pièce, celle de Bruce Wayne, est étrangement écrite. J'aime sa simplicité, son humour discret, le fait que sous le masque il n'ait pas un visage dur, mais au contraire, doux. Il n'est peut-être pas montré de manière torturée, ou en tout cas pas de manière aussi évidente que le Bruce qu'incarnera Christian Bale à partir de 2005, mais il y a quelque chose dans son regard, quelque chose de brisé, de distant, qui rend compte de manière sensible de ce vieux traumatisme. Il n'y a que peu d'introspection, et ce n'est pas plus mal d'une certaine façon, dans l'écriture du personnage. Il n'existe quasiment qu'au travers du regard de Vicky Vale, qui le découvre en même temps que nous. D'un côté, c'est dommage de ne pas le rendre plus sympathique aux yeux du spectateur, pour s'attacher à lui, mais de l'autre c'est assez malin de garder une part énigmatique qui colle au personnage.
Ce que je reproche le plus, finalement, c'est une scène en particulier qui le confronte au Joker, et qui le ridiculise de manière étrange et déplacée. Je n'ai jamais compris l'intérêt de cette scène et je continue de la trouver ratée et inappropriée.
Beaucoup, visiblement, semblent déçus de Michael Keaton, le décrivant comme une erreur de casting. C'est certain qu'il n'a pas le charisme immédiat d'un Christian Bale, pourtant je trouve son Batman très réussi. Sans son masque, il est quelqu'un de normal, mais derrière celui-ci, il dégage quelque chose de froid. Son regard est sombre, son air est dur, presque cruel, et on ressent la force de toute sa colère. C'est simplement dommage que le film en lui-même ne le mette pas en valeur comme il se doit. Heureusement, Batman Returns corrigera ces défauts.

Le Joker, lui, est fidèle à celui des comics. Dans toute son excentricité, sa folie bruyante et exagérée, son utilisation de gadgets étranges. Si j'ai une préférence pour l'interprétation (en terme d'écriture) du personnage dans The Dark Knight, j'aime également aussi beaucoup ce Joker loufoque et imprévisible. Jack Nicholson s'en donne à coeur joie, il cabotine à fond mais comme il se doit, puisque le Joker est un personnage lui-même cabotin. Néanmoins, il m'arrive de trouver que les extravagances du Joker vont trop loin, et peuvent être lassantes voire grotesque, et ne plus ravir le spectateur. Il faut juste l'accepter en tant que tel.
Ce que je reproche à ce Joker, à titre personnel, c'est que son origine est montrée dans le film. C'est un parti pris intéressant et utile au déroulement du scénario du film (j'adore la scène de la transformation), mais quelque part on perd au mystère que le Joker se doit d'avoir. Le problème c'est que l'on voit, derrière les traits blancs du Joker, le personnage de Jack Napier. Or, Napier est un mafieux classique, qui n'a strictement rien d'original et qui obéit aux codes des films de gangsters. Le charme se brise d'une certaine façon, encore plus quand le Joker reste empreint de la personnalité de Napier, notamment dans la séduction des femmes... Ce qui n'est pas tout à fait une écriture qui colle au personnage, à ma convenance du moins. En revanche, il me faut admettre que la folie soudaine de Napier, l'idée de sa renaissance, est un concept qui me plait beaucoup.

Enfin, la dernière chose que je reproche au film serait de ne pas assez nous opposer les deux personnages du film. Il manque un sentiment de duel, d'acharnement mutuel l'un contre l'autre, sans doute car ils ne sont l'un en face de l'autre qu'à très peu de reprises, et souvent trop peu de temps. On ne ressent pas assez le côté "ennemi jurés" qu'on serait en droit d'attendre d'une telle confrontation, notamment vu le passé qui les lie dans le scénario de ce film.
Heureusement, le final propose un climax savoureux, un duel littéralement au sommet, plein d'intensité, qui arrive à gommer ce défaut là. N'empêche qu'on en aurait aimé plus.

J'ai le sentiment que le film aurait été meilleur s'il avait été plus long, avec davantage de confrontations, d'oppositions, et d'approfondissements dans l'écriture des personnages. Le scénario est, en l'état, plutôt simple et ne porte pas le filme outre mesure. Batman constitue un divertissement de qualité, de bonne facture, avec une mise en scène travaillée avec amour.
Mais on le retiendra plus sincèrement pour ce qu'il a créé, pour avoir bâti une atmosphère, une ambiance, qui n'a fait que renforcer l'aura de son héros. Une esthétique gothique magnifique, un duel entre deux fous costumés, inoubliable par sa beauté visuelle, et dont le thème principal résonnera dans mes oreilles pour des années encore. Quand de nos jours, les films de super-héros s'entassent par paquet de dix, il est bon d'en retrouver un, plus ancien, qui a réussi à se créer une véritable identité cinématographique, en rendant hommage à divers genres au service du sien. Une leçon qui devrait être appliquée plus souvent.

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le 18 mars 2015

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